Biodiversité et écoquartiers : pour une approche écosystémique de l’urbanisme
20/10/2011 - Jean-Marc GANCILLE
Un récent rapport du Ministère de l’Ecologie sur la biodiversité dans les éco-quartiers déplorait, sur la base de l’analyse de nombreux projets engagés sur le territoire national, que la biodiversité n’était qu’une problématique émergente se résumant le plus souvent à une dimension paysagère.
Ce constat révèle malheureusement, s’il le fallait encore, que les enjeux de biodiversité sont globalement mal appréhendés et très largement sous-estimés par les concepteurs et aménageurs des quartiers durables.
Rappelons à ce stade que ces enjeux ne sont ni éthiques, ni idéologiques. Il s’agit simplement de notre bien-être, de l’avenir des sociétés humaines, et de la pérennité de nos modèles économiques. Les écosystèmes rendent gratuitement des services indispensables aux équilibres de la planète, et sont à la base de 40 % de notre économie. Ces enjeux dépassent largement le niveau de la fleur, de la grenouille ou du panda. Il s’agit d’éléments fondamentaux de nos sociétés humaines, qui seront fragilisées par la destruction des écosystèmes.
D’ailleurs, les ministres de l’environnement du G8 et de nombreux autres pays parmi lesquels la Chine, l’Australie l’Inde ou le Brésil on signé la Charte de Syracuse en 2009 soulignant l’urgence à agir et mettant le combat pour la biodiversité au même niveau que celui des changements climatiques.
On pourrait même soutenir que les enjeux de la biodiversité sont aujourd’hui plus urgents que ceux du changement climatique pour trois raisons :
Concernant l’urbanisme, et a fortiori les éco-quartiers, il plus important d’apprendre à penser différemment qu’à raisonner des solutions. Notre inspiration doit être Darwin et non Descartes, car la vie est un tout systémique, que l’on ne peut fractionner. Nous sommes des êtres vivants, vivons comme des êtres vivants et non des machines élaborant des algorithmes. Regardons la vie autrement. Comme le montre Darwin, notre éco-socio-système doit s’adapter et coopérer pour évoluer.
Il convient ainsi d’abandonner l’AEU : Approche Environnementale de l’Urbanisme, qui considère l’humain dissocié d’un environnement extérieur pour se tourner vers l’AEU : Approche Ecosystémique de l’Urbanisme.
Concernant la connaissance, il faut avoir l’humilité de reconnaitre que nous sommes ignorants, et ne savons pas toujours ce qui est bon ou mauvais pour le vivant. Nous ne connaissons que 10 % des espèces, avons été sur la lune, mais pas au fond des océans, et ne savons pas reproduire le fonctionnement de la vie. Les connaissances actuelles sont insuffisantes. Les expériences menées en milieu urbain montrent que l’on peut favoriser une espèce ou un habitat, mais rarement favoriser les fonctionnalités écologiques et les connexions. Or le but est la perméabilité écologique du milieu urbain, et non la constitution de petites réserves au cœur de la ville, car c’est le fonctionnement global des écosystèmes qui rend des services indispensables, et non l’existence de quelques espèces. Les trames vertes et bleues ne concernent pas que les campagnes, mais sont aussi indispensables en villes, et doivent être connectées avec les milieux ruraux.
Il n’y a pas d’opposabilité ou d’opposition systématique de la biodiversité à l’urbanisme, dés lors que l’on change notre regard sur la vie, pour intégrer les autres populations vivantes. C’est là que se situe le vrai combat : arrêter de considérer que l’intégralité de l’espace nous appartient, et regarder différemment les autres espèces vivantes.
Il n’existe pas a priori de forme urbaine « bio-compatible » idéale, et nous devrons l’élaborer ensemble, en prenant en compte les besoins des populations vivantes non-humaines. Il est certain que nous devons changer de lunettes et penser radicalement différemment notre relation à la vie.
Dans son allocution devant les parlementaires du club Domus+, à Paris, le 24 mars 2010, Patrice Valantin, expert en biodiversité et dirigeant de la société de génie écologique DERVENN, évoquait plusieurs pistes pour enclencher une véritable dynamique positive et remédier à la faible prise en compte des enjeux de biodiversité dans l’urbanisme :
Encourager une vraie représentation sociale des « peuples non-humains » dans les projets d’urbanisme.
Il est essentiel de prévoir des actions de génie écologique et des écologues, et il faut pour cela professionnaliser les métiers de la biodiversité qui pourront alors être présent dans les projets. C’est urgent et crucial en milieu urbain où les urbanistes, environnementalistes ou paysagistes s’approprient la biodiversité sans partage et sans avoir les connaissances nécessaires, avec de nombreux effets négatifs. Travailler au profit du vivant est un métier, et aménager un paysage au profit de l’homme en est un autre. Les deux doivent collaborer ensemble pour la bio-compatibilité du projet urbain. Il faut des professionnels formés et reconnus. Il est cependant indispensable de commencer cette coopération le plus en amont possible des projets pour éviter les impacts, puis les réduire, et les compenser éventuellement.
Abandonner le PLU pour le PLAGE
Prendre en compte partiellement le vivant dans un plan local d’urbanisme n’est pas suffisant lorsque l’essentiel du territoire français n’est pas urbain. Les peuples non-humains réclament un Plan Local d’Aménagement et de Gestion de l’Espace (PLAGE) qui gère le territoire dans sa globalité, en intégrant les besoins de l’ensemble des acteurs, humains et non-humains.
Réformer le droit de construire
Les propriétaires sont subitement millionnaires lorsque leur terrain devient constructible, alors que la biodiversité va être fortement diminuée. Il y a donc une prime à la destruction de patrimoine naturel et de terres agricoles, qui n’a rien de normale ou morale. Le droit à construire devrait être acheté par le propriétaire ou le promoteur, et les sommes ainsi mobilisées utilisées pour compenser la destruction de nature.
Abandonner les termes incitant à la discrimination entre humains et non-humains.
Les termes environnements, naturels, artificiels… tendant à montrer qu’il y a une zone pour l’humain et une pour les non-humains, alors que l’interdépendance est indispensable aux équilibres. Il n’existe plus de zone totalement naturelle en France : la Camargue et le marais poitevin sont d’origine anthropique. C’est le respect des cycles biologiques qui permettent le développement de la vie, et cela peut être compatible avec la présence humaine. La vision systémique de l’urbanisme élimine d’emblée ces terminologies ségrégationnistes.
Intégrer en urgence la biodiversité générale dans la législation
Les lois et textes actuels ne protègent que la nature patrimoniale, en général menacée. Il n’existe aucune protection pour la biodiversité générale (ou nature ordinaire) qui rend pourtant l’essentiel des services dont nous bénéficions. Il est urgent de prendre des mesures réglementaires ou législatives pour préserver ce socle indispensable, qui est à la base de tous les services écosystémiques.
La prise en compte de ces éléments ne répondra pas à toutes les questions, mais donnera la bonne méthode de réflexion pour avancer et construire un avenir cohérent.
Ce constat révèle malheureusement, s’il le fallait encore, que les enjeux de biodiversité sont globalement mal appréhendés et très largement sous-estimés par les concepteurs et aménageurs des quartiers durables.
Rappelons à ce stade que ces enjeux ne sont ni éthiques, ni idéologiques. Il s’agit simplement de notre bien-être, de l’avenir des sociétés humaines, et de la pérennité de nos modèles économiques. Les écosystèmes rendent gratuitement des services indispensables aux équilibres de la planète, et sont à la base de 40 % de notre économie. Ces enjeux dépassent largement le niveau de la fleur, de la grenouille ou du panda. Il s’agit d’éléments fondamentaux de nos sociétés humaines, qui seront fragilisées par la destruction des écosystèmes.
D’ailleurs, les ministres de l’environnement du G8 et de nombreux autres pays parmi lesquels la Chine, l’Australie l’Inde ou le Brésil on signé la Charte de Syracuse en 2009 soulignant l’urgence à agir et mettant le combat pour la biodiversité au même niveau que celui des changements climatiques.
On pourrait même soutenir que les enjeux de la biodiversité sont aujourd’hui plus urgents que ceux du changement climatique pour trois raisons :
- L’amélioration de la biodiversité diminuera les GES, alors que la réciproque n’est pas vraie
- Les échéances pour préserver la biodiversité sont très courtes (10 ans) et l’érosion irréversible
- La lutte pour lutter contre les GES est dans l’impasse, comme le montre l’abandon de la taxe carbone ou l’échec systématique des grands sommets internationaux
Concernant l’urbanisme, et a fortiori les éco-quartiers, il plus important d’apprendre à penser différemment qu’à raisonner des solutions. Notre inspiration doit être Darwin et non Descartes, car la vie est un tout systémique, que l’on ne peut fractionner. Nous sommes des êtres vivants, vivons comme des êtres vivants et non des machines élaborant des algorithmes. Regardons la vie autrement. Comme le montre Darwin, notre éco-socio-système doit s’adapter et coopérer pour évoluer.
Il convient ainsi d’abandonner l’AEU : Approche Environnementale de l’Urbanisme, qui considère l’humain dissocié d’un environnement extérieur pour se tourner vers l’AEU : Approche Ecosystémique de l’Urbanisme.
Concernant la connaissance, il faut avoir l’humilité de reconnaitre que nous sommes ignorants, et ne savons pas toujours ce qui est bon ou mauvais pour le vivant. Nous ne connaissons que 10 % des espèces, avons été sur la lune, mais pas au fond des océans, et ne savons pas reproduire le fonctionnement de la vie. Les connaissances actuelles sont insuffisantes. Les expériences menées en milieu urbain montrent que l’on peut favoriser une espèce ou un habitat, mais rarement favoriser les fonctionnalités écologiques et les connexions. Or le but est la perméabilité écologique du milieu urbain, et non la constitution de petites réserves au cœur de la ville, car c’est le fonctionnement global des écosystèmes qui rend des services indispensables, et non l’existence de quelques espèces. Les trames vertes et bleues ne concernent pas que les campagnes, mais sont aussi indispensables en villes, et doivent être connectées avec les milieux ruraux.
Il n’y a pas d’opposabilité ou d’opposition systématique de la biodiversité à l’urbanisme, dés lors que l’on change notre regard sur la vie, pour intégrer les autres populations vivantes. C’est là que se situe le vrai combat : arrêter de considérer que l’intégralité de l’espace nous appartient, et regarder différemment les autres espèces vivantes.
Il n’existe pas a priori de forme urbaine « bio-compatible » idéale, et nous devrons l’élaborer ensemble, en prenant en compte les besoins des populations vivantes non-humaines. Il est certain que nous devons changer de lunettes et penser radicalement différemment notre relation à la vie.
Dans son allocution devant les parlementaires du club Domus+, à Paris, le 24 mars 2010, Patrice Valantin, expert en biodiversité et dirigeant de la société de génie écologique DERVENN, évoquait plusieurs pistes pour enclencher une véritable dynamique positive et remédier à la faible prise en compte des enjeux de biodiversité dans l’urbanisme :
Encourager une vraie représentation sociale des « peuples non-humains » dans les projets d’urbanisme.
Il est essentiel de prévoir des actions de génie écologique et des écologues, et il faut pour cela professionnaliser les métiers de la biodiversité qui pourront alors être présent dans les projets. C’est urgent et crucial en milieu urbain où les urbanistes, environnementalistes ou paysagistes s’approprient la biodiversité sans partage et sans avoir les connaissances nécessaires, avec de nombreux effets négatifs. Travailler au profit du vivant est un métier, et aménager un paysage au profit de l’homme en est un autre. Les deux doivent collaborer ensemble pour la bio-compatibilité du projet urbain. Il faut des professionnels formés et reconnus. Il est cependant indispensable de commencer cette coopération le plus en amont possible des projets pour éviter les impacts, puis les réduire, et les compenser éventuellement.
Abandonner le PLU pour le PLAGE
Prendre en compte partiellement le vivant dans un plan local d’urbanisme n’est pas suffisant lorsque l’essentiel du territoire français n’est pas urbain. Les peuples non-humains réclament un Plan Local d’Aménagement et de Gestion de l’Espace (PLAGE) qui gère le territoire dans sa globalité, en intégrant les besoins de l’ensemble des acteurs, humains et non-humains.
Réformer le droit de construire
Les propriétaires sont subitement millionnaires lorsque leur terrain devient constructible, alors que la biodiversité va être fortement diminuée. Il y a donc une prime à la destruction de patrimoine naturel et de terres agricoles, qui n’a rien de normale ou morale. Le droit à construire devrait être acheté par le propriétaire ou le promoteur, et les sommes ainsi mobilisées utilisées pour compenser la destruction de nature.
Abandonner les termes incitant à la discrimination entre humains et non-humains.
Les termes environnements, naturels, artificiels… tendant à montrer qu’il y a une zone pour l’humain et une pour les non-humains, alors que l’interdépendance est indispensable aux équilibres. Il n’existe plus de zone totalement naturelle en France : la Camargue et le marais poitevin sont d’origine anthropique. C’est le respect des cycles biologiques qui permettent le développement de la vie, et cela peut être compatible avec la présence humaine. La vision systémique de l’urbanisme élimine d’emblée ces terminologies ségrégationnistes.
Intégrer en urgence la biodiversité générale dans la législation
Les lois et textes actuels ne protègent que la nature patrimoniale, en général menacée. Il n’existe aucune protection pour la biodiversité générale (ou nature ordinaire) qui rend pourtant l’essentiel des services dont nous bénéficions. Il est urgent de prendre des mesures réglementaires ou législatives pour préserver ce socle indispensable, qui est à la base de tous les services écosystémiques.
La prise en compte de ces éléments ne répondra pas à toutes les questions, mais donnera la bonne méthode de réflexion pour avancer et construire un avenir cohérent.