Eco-quartiers.fr - Le blog - Mars 2012 - Grands projets urbains : est-ce bien raisonnable ?

Réflexion libre d’un citoyen suite à un an de participation au panel citoyen mis en place dans le cadre du projet urbain bordelais Euratlantique. Grâce au panel Euratlantique dont je mesure la chance d’avoir pu faire partie, une trentaine de citoyens ont eu le privilège de poursuivre...

Grands projets urbains : est-ce bien raisonnable ?

Réflexion libre d’un citoyen suite à un an de participation au panel citoyen mis en place dans le cadre du projet urbain bordelais Euratlantique.

Grâce au panel Euratlantique dont je mesure la chance d’avoir pu faire partie, une trentaine de citoyens ont eu le privilège de poursuivre pendant une année un dialogue direct avec des experts et des praticiens de l’urbanisme.

Cette expérience inédite, dont chacun pourra mesurer l’apport au regard de ses attentes et de sa propre expérience, m’aura personnellement permis d’affûter mon regard sur la « fabrique de la ville » et sur le contexte propre à Bordeaux, territoire foisonnant de projets urbains multiples et variés.

Après plusieurs mois d’échanges et de réflexions, nourris par ailleurs par mon expérience quotidienne de l’urbanisme en tant que co-fondateur et porteur du projet DARWIN (www.darwin-ecosysteme.fr), les démarches d’urbanisme à l’œuvre sur la métropole bordelaise me plongent aujourd’hui dans la perplexité.

Ce sentiment ne résulte pas d’un désaccord sur les principes fondateurs. Qui pourrait aujourd’hui s’opposer à la volonté exprimée de lutter contre l’étalement urbain, de remédier au zoning des fonctions urbaines, de juguler les déplacements fortement émetteurs de CO2, de préserver ou recréer de la mixité sociale, de construire des logements énergétiquement performants, de réintroduire « la nature » en ville, de stimuler la créativité urbaine... ?

Ma perplexité se nourrit plutôt d’une inquiétude sur les réponses apportées à ces problématiques : celle d’une certaine forme d’aveuglement  des concepteurs et prescripteurs de ces projets urbains sur la réalité de l’avenir qui se profile. La pénurie annoncée des ressources, la crise financière et le marasme économique probablement durables, la précarité qui s’ancre dans la société et les tensions sociales qui en résulteront et plus encore les risques énergétiques dont nous percevons tout juste les prémisses menacent lourdement la bonne fin et la viabilité à terme des opérations en cours.

Des discussions que nous avons eues avec les experts et de l’observation des projets urbains – souvent marqués par le gigantisme - sur la métropole, j’ai le sentiment inconfortable et inquiétant que les urbanistes qui pensent les projets, les élus qui les encouragent et les entreprises qui en bénéficient ne considèrent pas ces enjeux à la mesure du risque global. Les collectivités trouveront-elles toujours les financements dont elles ont besoin pour investir ? Les bâtisseurs accèderont-ils aux matériaux et à l’énergie dans conditions non rédhibitoires ? Les foyers pourront-ils suivre la hausse continuelle du foncier et des loyers qui exacerberont par ailleurs les inégalités ? Les risques écologique et alimentaires face à la pénurie énergétique plus que probable sont-ils correctement appréhendés ?

Nous avons eu l’occasion de dialoguer au sein du panel avec Jean Haëntjens à propos de l’essor des grandes métropoles. Il aurait été très instructif de l’entendre également sur sa vision critique de ce phénomène, telle qu’il la développe dans son dernier ouvrage « la ville frugale ». Sa conviction peut sommairement se résumer ainsi : le projet d'un « urbanisme durable » se heurte aujourd'hui aux limites économiques et financières rencontrées par les collectivités, mais aussi par les particuliers. Si le dérapage des coûts urbains (loyers, transports, carburants, budgets sociaux) est bien réel, il ne doit pourtant pas être regardé comme une fatalité. Les cités qui ont fait du principe de frugalité - obtenir plus de satisfactions avec moins de ressources - le fil directeur de leur stratégie ont montré qu’il était possible d’inventer un autre « mode de ville » à la fois plus économe, plus convivial et plus écologique.

Sur une longueur d’onde assez proche, Jean Ollivro (professeur à l'université européenne de Bretagne (Rennes II) et à Sciences-Po Rennes) défend une thèse similaire dans son dernier ouvrage « la ville véritablement durable » qui sera « en réalité de faible dimension (de 6 000 à 40 000 habitants) », aimera « l'économie de proximité (emplois, services, commerces, logements) » et sera « en contact étroit avec les espaces ruraux périphériques pour une nouvelle économie plus autarcique et douée d'une réelle cohérence ».

Face au renchérissement du prix des énergies, Jean Ollivro table sur « des sociétés de plus en plus interconnectées grâce aux nouvelles technologies, mais risquant fort de devoir réduire leurs déplacements quotidiens ». L'universitaire fait le constat que « partout dans le monde, les métropoles risquent d'être puissamment fragilisées » alors que « depuis les années quatre-vingts, la ‘grande métropole' est présentée comme le biais ultime permettant d'asseoir la prospérité économique ». Selon lui « il est frappant de voir comment on suggère [aux villes du Sud] un modèle de développement présenté comme moderne, alors même qu'il va renforcer leur affiliation aux ressources externes ».

D'après l'auteur, ce modèle « est nourri par de grands opérateurs immobiliers et des transporteurs pour réaliser quelques opérations de prestige ». Le schéma de la mégalopole « est particulièrement instructif pour suivre la façon dont les nantis sculptent l'espace de façon à conforter leur privilège ». Une analyse que n’aurait pas reniée Elsa Vivant qui nous a livré une vision assez critique de la ville créative au sein du panel Euratlantique.

Pour concilier les attentes de mobilité  et la recherche de Jean Ollivro prédit lui que « la géographie des richesses va changer. L'espace rural ou la dynamique de petites villes prenant appui sur leurs espaces périphériques apparaîtra comme une solution pour ce monde nouveau. Il sera particulièrement délicat de créer un développement autarcique dans des espaces urbains qui ont été agencés pour l'économie d'échanges, d'autant qu'on y a gommé tous les fondements productifs ».

Pour Jean Haëntjens, les villes qui s’en sortiront sont celles qui sauront « créer un désir collectif en s’appuyant sur les attentes de simplicité, de sociabilité et de nature partagées par une partie de leur population ». Elles multiplieront les innovations dans les champs de l’habitat, de la mobilité, de l’espace public, de l'économie, de la culture, de l'éducation et de l’environnement. La question, pour elles, ne sera pas d'imaginer des formes urbaines révolutionnaires, mais des combinaisons nouvelles entre des technologies existantes (le tramway, le vélo, le numérique, les énergies renouvelables) et des pratiques urbaines en pleine mutation.

Jean Ollivro préconise quant à lui le développement des nouvelles technologies : la diffusion « massive » des logiciels d'optimisation des déplacements « pour limiter la consommation d'énergie » des employés du service public « travaillant en circuit (aide à domicile, médecin et éducateur, aide sociale itinérante, service de bibliobus, ambulancier) » ; une « meilleure utilisation » et rotation des parcs automobiles et routiers ; une « coordination de l'offre et de la demande » pour « limiter les temps de déplacement ».

La culture des grands projets urbains tels que nous les vivons ici à Bordeaux paraît donc bien loin de cette prospective. Je regrette personnellement qu’elle ne semble tenir que très peu compte de la nécessité de créer les conditions d’un développement de l’autonomie alimentaire et énergétique du territoire et de ses habitants pour faire face au risque d’effondrement probable.
3 commentaire

Commentaires

  1. 1

    Merci pour cet article !nQuelles sont les références du livre de Jean Ollivro ?

  2. 2

    Bel article! Ayant également lu l'ouvrage d'Ollivro, je confirme cela fait réfléchir.
    Voilà la référence : Jean Ollivro - La Nouvelle économie des territoires, éditions Apogée - 2011

  3. 3

    Quand on parle d'architecture, il faut penser au cadre donné par l'urbaniste ; quand on parle d'urbanisme il faut penser au cadre donné par le décideur politique. Nous vivons depuis 30 ans dans un monde sans alternative politique (rappelons que les 30 Glorieuses collent impeccablement à la période de la Guerre froide...). Le modèle dominant est le libéralisme. Nous vivons donc depuis plusieurs décennies un monde où la quête du profit personnel est le moteur des décisions, où la croissance économique est le seul indicateur de satisfaction et de progrès : les individus doivent s'enrichir, les entreprises doivent croître, les villes doivent être riches, grosses, grasses... et l'on mesure leur succès à leur nombre d'habitants, à leurs équipements (grand stade, aéroport...), au rythme d'implantation de leurs entreprises...
    Ce modèle s'est développé à une époque où l'on n'avait pas de questionnement sur la nourriture, l'énergie, les carburants... tout était là et sinon il n'y avait pas de honte à piller telle lointaine contrée pour nourrir la ville grasse et la faire grossir encore plus.
    Nous venons juste de croquer la pomme et sommes chassés de l'Eden : les choses paraissent d'un seul coup plus complexes.
    Elles le sont d'autant plus que "la dynamique de petites villes prenant appui sur leurs espaces périphériques" ou la création "d'un désir collectif s’appuyant sur les attentes de simplicité, de sociabilité et de nature" vont parfaitement à l'encontre du modèle politique dominant ! Le désir collectif est plutôt que soient ouvertes de nouvelles lignes low-cost, que Norbert gagne Top chef ou que l'essence se mette à baisser miraculeusement !

    La question est donc bien : quel modèle politique permettrait de développer un nouvel Eden ? Posée différemment, la question est évidemment celle du "pouvoir germinatif" du système, sa capacité à laisser émerger d'autres modèles, tenter d'autres expériences, essayer d'autres alternatives.
    À l'heure actuelle il faut des énergies vertigineuses pour lutter contre le ventre mou des technocrates et l'hydre de la bureaucratie : on ne compte plus les projets avortés, les créativités déçues, les initiatives refoulées... Pour un Darwin (et encore faudrait-il valoriser les milliers d'heures de bénévolat nécessaires à l'émergence d'un projet comme celui-ci) combien d'autres belles idées alternatives ne verront jamais le jour ?

    C'est pour moi probablement là que le Pouvoir devrait se poser quelques questions et prendre plus de risques : au lieu d'étouffer les énergies naissantes ou les faire rentrer de force dans son giron (ou pire : créer des simulacres !), il vaudrait mieux les encourager, leur créer des espaces / temps limités permettant d'essayer, de faire des laboratoires éphémères, modéliser des pratiques urbaines différentes... et faire que la Ville et ses habitants trouvent en eux-mêmes les solutions.

    Les idées pour la Ville de demain sont déjà là... il faut juste laisser pousser l'herbe entre les pavés.

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