Cohabitation intergénérationnelle : vers une nouvelle ambition de lien social
03/04/2012 - Charlotte DUDIGNAC
Pour favoriser, voire recréer un lien social et une solidarité rompus entre générations, suffit-il de créer des structures d’accueil spécifiques – d’un côté des Ephad pour les personnes âgées en proie à une solitude grandissante, de l’autre des logements étudiants pour des jeunes éprouvant des difficultés grandissantes à se loger ?
Un certain nombre d’initiatives de cohabitation intergénérationnelle se sont développées dans le sillage de la canicule de 2003. Elles constituent des exemples éclairants et nourrissants pour la programmation et la conception urbaine des projets d’éco-quartiers qui mettent en avant une certaine mixité intergénérationelle .
Générations séparées
La canicule d’août 2003, qui causa la mort de près de 15 000 personnes - dont la moitié âgée de plus de 85 ans- mit non seulement en évidence les insuffisances des systèmes d’alerte sanitaire mais leva le voile sur la solitude et l’isolement dont pâtissent de nombreuses personnes âgées, interrogeant par la même la place que notre société veut bien donner à ses aînés. Parmi l’ensemble des facteurs qui conduisent à la solitude des personnes âgées, figure la cohabitation intergénérationnelle, trois fois plus faible aujourd’hui qu’elle ne l’était en 1962, selon une enquête menée de novembre 2005 à Mars 2006 par le collectif « Combattre la solitude des personnes âgées » auprès de 5000 personnes (1).
Réunir deux besoins complémentaires
Créée en 2004, l’association le PariSolidaire met en relation des personnes âgées qui disposent d’un logement devenu trop grand pour elles mais qu’elles veulent garder, et des personnes de moins de trente ans, étudiants, travailleurs ou demandeurs d’emploi, confrontés à une offre locative devenue inaccessible pour grand nombre d’entre eux. La formule permettra à l’ancien de rester le plus longtemps possible à domicile, grâce une sécurité et une vigilance pouvant s’avérer précieuses, et parfois à un complément de revenus bienvenu pour une population de plus en plus paupérisée. Le jeune disposera quant à lui d’un logement salubre et d’un climat propice aux études : le dîner tendant rarement à trainer en longueur, il pourra chaque jour disposer de plusieurs heures de travail devant lui, dans un environnement certes parfois troublé par le volume sonore du poste de télévision, mais que des casques pourront atténuer.
Réunir visiteurs de passage et habitants de tout horizon
Ouvert en Juillet 2010 et situé dans le Gers, l’ancien Carmel de Condom fut tout d’abord, et pendant plusieurs siècles, un couvent religieux. 22 personnes y résident désormais. 25 ans, c’est l’âge du plus jeune et 82, celui de la plus âgée, qui vivait seule à deux pas du Carmel et a y posé ses valises, disant simplement « c’est là que je veux vivre ». Tous les matins, dans la salle commune, elle prend son petit déjeuner avec une autre habitante qui attend une greffe du cœur et ne dispose plus que de 20% de ses capacités physiques. A côté d’elle, 4 ou 5 quinquagénaires qui ont un jour quitté la route et qui se remettent, ici, en selle. Le conseiller social du lieu est un ancien pasteur qui développa dans le nord de la France des cohabitations entre personnes actives et SDF. C’est à cette occasion qu’il rencontra un ancien détenu, qui est aujourd’hui le maître d’hôtel du Condom... Car l’ancien Carmel, lauréat du tourisme responsable en 2011, ouvre également ses portes aux pèlerins (le chemin de Compostelle n’est pas loin) vacanciers et associations, et a enregistré 2000 nuitées en 2011. Les habitants de Condom ne sont pas en reste, des ateliers de chant et de peinture leur sont ouverts.
« A l’école, on apprend les maths, pas la convivialité »
Réunis lors du salon Vivre autrement 2012, les porte-paroles de ces initiatives en conviennent tous : vivre à plusieurs générations, ou même vivre à plusieurs sous le même toit est loin d’être simple. Si l’aventure de Parisolidaire en a séduit plus d’un, 1700 cohabitations ayant eu lieu depuis la création de l’association, elle n’est pour autant ce qu’on pourrait qualifier de « bon plan ». La cohabitation entre deux personnes que 80 ans séparent parfois n’est pas toujours des plus évidentes, et n’est évidemment pas envisageable pour les personnes ayant besoin d’un suivi médicalisé, que ne peuvent et n’ont pas à leur fournir leurs jeunes colocataires.
Yves Dumas représente la Trame, qui propose de cohabitations entre seniors en région Parisienne et en province, en convient : « Entre la solitude à tout prix et la maison de retraite où il n’y a plus rien, la cohabitation est une solution intermédiaire qui permet de rester en bonne santé plus longtemps. Nous pouvons nous entraider, si l’un d’entre nous a un handicap léger, mais nous ne pouvons évidemment pas gérer un handicap trop lourd. ». Il va cependant plus loin : « On est rarement préparé à la vie collective. A l’école, on apprend les maths, pas la convivialité. Il faut savoir partager, mettre de l’eau dans son vin et ça, tout le monde n’y parvient pas ». L’association envisage de créer des ateliers de formation à la communication non violente et à la convivialité.
Réinventer des espaces communs
Ces quelques exemples laissent entrevoir un quotidien fait de grandes joies mais également, sûrement, de petits matins. En sommes-nous étonnés, nous qui rêvons d’une ville où nous pourrions échanger autre chose que des coups de coude entre les couloirs du métro, mais en échangeons quand même malgré tout, ici et maintenant? Nous que l’individualisme dans lequel nous baignons révolte, mais qui nous contentons souvent d’une visite trop courte à ceux de nos proches qui ne nagent pas ou plus aussi bien que nous ? Nous enfin qui écoutons Alma Adilon-Lonardoni, lauréate du concours 2012 des plaidoiries de Lycéens, nous dire « Aujourd’hui, mesdames et messieurs, j’accuse la société de reléguer ses mères, ses pères aux oubliettes. […] C’est nous qui sommes les enfants, mesdames, messieurs, nous qui leur devons tout. Nous avons été protégés par nos parents durant toute notre enfance. Maintenant que nous n’en avons plus besoin, que les rôles pourraient être échangés, pourquoi prendre la peine de leur rendre la pareille ? »
Portées par des citoyens les plus directement concernés, parce que les plus exposés de par leurs conditions physiques, sociales et matérielles, à la faiblesse de logements accessibles et adaptés, ces initiatives constituent à n’en point douter des exemples et des sources d’inspiration pour les politiques publiques et les villes de demain.
Ressources :
Réseau cosi : Présent dans une vingtaine de grandes villes françaises, il réunit des associations de cohabitation intergénérationnelle.
Age village : informations, services et conseils pour l’entourage des personnes dépendantes
(1) Cette étude révèle que la proportion des personnes habitant seules est trois fois plus forte qu’en 1962 du fait de la diminution de la cohabitation intergénérationnelle
Un certain nombre d’initiatives de cohabitation intergénérationnelle se sont développées dans le sillage de la canicule de 2003. Elles constituent des exemples éclairants et nourrissants pour la programmation et la conception urbaine des projets d’éco-quartiers qui mettent en avant une certaine mixité intergénérationelle .
Générations séparées
La canicule d’août 2003, qui causa la mort de près de 15 000 personnes - dont la moitié âgée de plus de 85 ans- mit non seulement en évidence les insuffisances des systèmes d’alerte sanitaire mais leva le voile sur la solitude et l’isolement dont pâtissent de nombreuses personnes âgées, interrogeant par la même la place que notre société veut bien donner à ses aînés. Parmi l’ensemble des facteurs qui conduisent à la solitude des personnes âgées, figure la cohabitation intergénérationnelle, trois fois plus faible aujourd’hui qu’elle ne l’était en 1962, selon une enquête menée de novembre 2005 à Mars 2006 par le collectif « Combattre la solitude des personnes âgées » auprès de 5000 personnes (1).
Réunir deux besoins complémentaires
Créée en 2004, l’association le PariSolidaire met en relation des personnes âgées qui disposent d’un logement devenu trop grand pour elles mais qu’elles veulent garder, et des personnes de moins de trente ans, étudiants, travailleurs ou demandeurs d’emploi, confrontés à une offre locative devenue inaccessible pour grand nombre d’entre eux. La formule permettra à l’ancien de rester le plus longtemps possible à domicile, grâce une sécurité et une vigilance pouvant s’avérer précieuses, et parfois à un complément de revenus bienvenu pour une population de plus en plus paupérisée. Le jeune disposera quant à lui d’un logement salubre et d’un climat propice aux études : le dîner tendant rarement à trainer en longueur, il pourra chaque jour disposer de plusieurs heures de travail devant lui, dans un environnement certes parfois troublé par le volume sonore du poste de télévision, mais que des casques pourront atténuer.
Réunir visiteurs de passage et habitants de tout horizon
Ouvert en Juillet 2010 et situé dans le Gers, l’ancien Carmel de Condom fut tout d’abord, et pendant plusieurs siècles, un couvent religieux. 22 personnes y résident désormais. 25 ans, c’est l’âge du plus jeune et 82, celui de la plus âgée, qui vivait seule à deux pas du Carmel et a y posé ses valises, disant simplement « c’est là que je veux vivre ». Tous les matins, dans la salle commune, elle prend son petit déjeuner avec une autre habitante qui attend une greffe du cœur et ne dispose plus que de 20% de ses capacités physiques. A côté d’elle, 4 ou 5 quinquagénaires qui ont un jour quitté la route et qui se remettent, ici, en selle. Le conseiller social du lieu est un ancien pasteur qui développa dans le nord de la France des cohabitations entre personnes actives et SDF. C’est à cette occasion qu’il rencontra un ancien détenu, qui est aujourd’hui le maître d’hôtel du Condom... Car l’ancien Carmel, lauréat du tourisme responsable en 2011, ouvre également ses portes aux pèlerins (le chemin de Compostelle n’est pas loin) vacanciers et associations, et a enregistré 2000 nuitées en 2011. Les habitants de Condom ne sont pas en reste, des ateliers de chant et de peinture leur sont ouverts.
« A l’école, on apprend les maths, pas la convivialité »
Réunis lors du salon Vivre autrement 2012, les porte-paroles de ces initiatives en conviennent tous : vivre à plusieurs générations, ou même vivre à plusieurs sous le même toit est loin d’être simple. Si l’aventure de Parisolidaire en a séduit plus d’un, 1700 cohabitations ayant eu lieu depuis la création de l’association, elle n’est pour autant ce qu’on pourrait qualifier de « bon plan ». La cohabitation entre deux personnes que 80 ans séparent parfois n’est pas toujours des plus évidentes, et n’est évidemment pas envisageable pour les personnes ayant besoin d’un suivi médicalisé, que ne peuvent et n’ont pas à leur fournir leurs jeunes colocataires.
Yves Dumas représente la Trame, qui propose de cohabitations entre seniors en région Parisienne et en province, en convient : « Entre la solitude à tout prix et la maison de retraite où il n’y a plus rien, la cohabitation est une solution intermédiaire qui permet de rester en bonne santé plus longtemps. Nous pouvons nous entraider, si l’un d’entre nous a un handicap léger, mais nous ne pouvons évidemment pas gérer un handicap trop lourd. ». Il va cependant plus loin : « On est rarement préparé à la vie collective. A l’école, on apprend les maths, pas la convivialité. Il faut savoir partager, mettre de l’eau dans son vin et ça, tout le monde n’y parvient pas ». L’association envisage de créer des ateliers de formation à la communication non violente et à la convivialité.
Réinventer des espaces communs
Ces quelques exemples laissent entrevoir un quotidien fait de grandes joies mais également, sûrement, de petits matins. En sommes-nous étonnés, nous qui rêvons d’une ville où nous pourrions échanger autre chose que des coups de coude entre les couloirs du métro, mais en échangeons quand même malgré tout, ici et maintenant? Nous que l’individualisme dans lequel nous baignons révolte, mais qui nous contentons souvent d’une visite trop courte à ceux de nos proches qui ne nagent pas ou plus aussi bien que nous ? Nous enfin qui écoutons Alma Adilon-Lonardoni, lauréate du concours 2012 des plaidoiries de Lycéens, nous dire « Aujourd’hui, mesdames et messieurs, j’accuse la société de reléguer ses mères, ses pères aux oubliettes. […] C’est nous qui sommes les enfants, mesdames, messieurs, nous qui leur devons tout. Nous avons été protégés par nos parents durant toute notre enfance. Maintenant que nous n’en avons plus besoin, que les rôles pourraient être échangés, pourquoi prendre la peine de leur rendre la pareille ? »
Portées par des citoyens les plus directement concernés, parce que les plus exposés de par leurs conditions physiques, sociales et matérielles, à la faiblesse de logements accessibles et adaptés, ces initiatives constituent à n’en point douter des exemples et des sources d’inspiration pour les politiques publiques et les villes de demain.
Ressources :
Réseau cosi : Présent dans une vingtaine de grandes villes françaises, il réunit des associations de cohabitation intergénérationnelle.
Age village : informations, services et conseils pour l’entourage des personnes dépendantes
(1) Cette étude révèle que la proportion des personnes habitant seules est trois fois plus forte qu’en 1962 du fait de la diminution de la cohabitation intergénérationnelle
- ©Babayagas