L’agriculture en ville : plaisir personnel ou participation à l’effort collectif alimentaire ?
La ville, malgré ses espaces verts, et malgré les efforts de ceux qui l’aménagent pour faire une place au « vert », suscite chez ses habitants des aspirations à la vie rurale, ou du moins à certains aspects de cette dernière. Ainsi, les citadins cherchent parfois à recréer des espaces de cultures agricoles en ville pour pratiquer le jardinage, pour avoir un potager et pour pouvoir intégrer dans leur alimentation des produits qu’ils ont cultivé eux-mêmes.
Dans les grandes villes occidentales apparaissent ainsi aujourd'hui de plus en plus d'initiatives locales tournées vers l'agriculture urbaine : c’est le cas des jardins partagés (il y a environ 70 jardins partagés à Paris). L’attrait agricole passe aussi par la mise en place de circuits courts pour la distribution de produits qui ont été cultivés relativement près des zones urbaines, de manière à écourter le temps de transport, à disposer de produits de saison, et à connaitre souvent plus facilement les modes de production agricole des produits que l’on va consommer.
Les collectifs d'artistes Refarm the city et Green Rush, qui animent cette année l’épisode 8 « La Graine et le Compost » d’un cycle organisé par la Gaîté Lyrique en partenariat avec le Musée des Arts et Métiers, ont présenté certaines de leurs réalisations lors de la conférence « Re-cultiver la ville ». Etaient également conviés pour intervenir sur ce sujet des enseignants-chercheurs (un agriurbaniste et une sociologue), qui ont donc apporté un regard différent à celui des collectifs d’artistes, à l’aide de chiffres, d’enquêtes, de comparaisons historiques…
Des collectifs d’artistes attentifs au partage
Refarm the city et Green Rush, en leur qualité d’artistes, s’inspirent de l’existant dans les villes ainsi que des aspirations des citadins pour créer des espaces d’échange. Green Rush est ainsi à la recherche, dans de nombreuses grandes villes occidentales, d’acteurs locaux à mobiliser et d’initiatives existant déjà, à valoriser : le collectif a travaillé sur la notion de compost en utilisant et en faisant connaitre les composteurs proposés par la Mairie de Paris, et en récupérant les déchets organiques de plusieurs restaurants de la capitale. Cette action, qui montre également que la culture en ville ne se limite pas à cultiver des plants de courgettes et de tomates, est un exemple de la préoccupation principale de Green Rush qui consiste à combattre le business créé autour du « vert » en valorisant des initiatives réellement intéressantes et en sensibilisant des acteurs ayant du poids (les déchets d’un restaurant conséquent ne représentent pas le même volume que ceux d’un ménage).
De son côté, Refarm the city place le partage d’informations et de bons plans au cœur de sa démarche, en mettant en relation des citadins du monde entier, et ce grâce aux derniers outils de communication. Ils ont notamment créé une application mobile qui permet aux adeptes de partager expériences et expérimentations, de voir pousser les tomates de leur voisin virtuel et de comparer leurs résultats, comme dans un jeu. Le collectif propose aussi aux internautes de partager leurs idées pour créer ou rassembler le matériel qui permettra d'installer une ferme en milieu urbain, en insistant sur la récupération, afin que chacun puisse trouver, gratuitement ou le moins cher possible, le matériel nécessaire, selon son environnement propre.
Qu’en dit l’approche alimentaire des liens entre ville et agriculture ?
La réflexion de Roland Vidal, agri urbaniste et professeur à l’Ecole nationale supérieure du paysage de Versailles, se tourne vers les liens entre ville et agriculture sous l’angle de la gouvernance alimentaire durable, qui est pour lui le souci principal que nous devrions avoir aujourd’hui. L’ensemble des actions en faveur des circuits de proximité participent de la volonté d’améliorer la qualité des produits, en garantissant une juste rémunération des producteurs locaux. Pourtant il convient de s’interroger sur le rôle de ces actions dans le système alimentaire global des villes, sur leurs impacts économiques, environnementaux et sociaux, et sur la façon dont ces initiatives souvent associatives pourraient être intégrées dans la mise en place d’une gouvernance alimentaire urbaine durable.
L’histoire de l’agriculture montre comment ville et agriculture se sont co-organisées dans l’espace. Avant l’invention des machines, les zones agricoles étaient situées près des villages et cités : les zones maraichères en première ceinture, et les produits se transportant mieux en couronnes extérieures. La révolution industrielle, qui a amené des machines et des moyens de transport, a déplacé la ceinture maraichère qui n’avait plus besoin d’être proche de la ville. De cette manière, c’est la figure du maraicher qui faisait le lien entre monde citadin et monde social, qui a disparu. Aujourd’hui, on cherche à recréer cette fonction sociale, et il semble que ce soit cela qui prime, tant le retour de l’agriculture en ville n’est pas encore abouti du point de vue de l’agriculture durable.
La notion de food miles (kilomètres alimentaires) qui mesure la distance parcourue par un aliment depuis sa fabrication jusqu’au consommateur et que l’on cherche à réduire en favorisant les circuits courts et le recours aux producteurs locaux possède des limites : elle ne prend par exemple pas en compte le type de transport utilisé et ainsi les émissions de CO2 qui en dépendent. Les coûts environnementaux d’un petit véhicule type camionnette ou voiture, souvent utilisé pour aller chercher les produits directement à la ferme ou pour effectuer la distribution au sein d’un circuit court, atteignent ceux que produirait un avion pour parcourir la même distance. Des solutions existent pour réduire ces coûts, et pour rendre ces circuits courts plus efficaces. Ainsi, l’utilisation d’un camion intégré dans une logistique de transport permettrait de diviser par deux les coûts environnementaux liés au transport, car il ne repartirait pas à vide.
Des citadins en quête de vert… parce que c’est vital ?
Mais l’agriculture possède des fonctions sociales, paysagères, éducatives et environnementales qu’il convient de valoriser et auxquelles il faut rester attentif. La sociologue Michelle Debré avance ainsi que l’attrait pour la campagne éprouvée par les citadins ne relève peut-être pas d’un besoin véritable, mais plutôt d’un désir ou d’une nostalgie, ce qui n’est pas à condamner, au contraire. Selon elle, maintenant que l’urbanisation est terminée, peut-être qu’est venu le moment où nous parviendrons à retrouver un lien à la nature dans la ville.
Pourtant certaines réalisations semblent bien éloignées des idées de partage et de solidarité. L’existence de clôtures et d’un accès aux jardins réservé à certains habitants interroge par exemple. Cherche-t-on à créer des espaces privés de loisirs pour des citadins occidentaux qui dédient 14% de leur budget à l’alimentation (1) ?
Ainsi, dans quelle mesure est-ce vital pour les citadins de maintenir un lien avec la nature ? Dans quelle mesure ont-ils besoin de se prouver qu’ils sont capables de produire des denrées alimentaires eux-mêmes ?
(1) Sur ce thème, Roland Vidal compare ce type d’espaces verts en ville avec l’agriculture citadine de crise qui se met en place dans des villes comme Colombo au Sri Lanka, où les habitants consacrent près de 90% de leur budget à l’alimentation. Et où là bas, un espace vert cultivé devrait être rendu au bien commun.
Pour poursuivre la réflexion sur la notion d’autosuffisance alimentaire :
« L’autosuffisance agricole des villes, une vaine utopie ? » par Roland Vidal et André Fleury sur laviedesidées.fr
Dans les grandes villes occidentales apparaissent ainsi aujourd'hui de plus en plus d'initiatives locales tournées vers l'agriculture urbaine : c’est le cas des jardins partagés (il y a environ 70 jardins partagés à Paris). L’attrait agricole passe aussi par la mise en place de circuits courts pour la distribution de produits qui ont été cultivés relativement près des zones urbaines, de manière à écourter le temps de transport, à disposer de produits de saison, et à connaitre souvent plus facilement les modes de production agricole des produits que l’on va consommer.
Les collectifs d'artistes Refarm the city et Green Rush, qui animent cette année l’épisode 8 « La Graine et le Compost » d’un cycle organisé par la Gaîté Lyrique en partenariat avec le Musée des Arts et Métiers, ont présenté certaines de leurs réalisations lors de la conférence « Re-cultiver la ville ». Etaient également conviés pour intervenir sur ce sujet des enseignants-chercheurs (un agriurbaniste et une sociologue), qui ont donc apporté un regard différent à celui des collectifs d’artistes, à l’aide de chiffres, d’enquêtes, de comparaisons historiques…
Des collectifs d’artistes attentifs au partage
Refarm the city et Green Rush, en leur qualité d’artistes, s’inspirent de l’existant dans les villes ainsi que des aspirations des citadins pour créer des espaces d’échange. Green Rush est ainsi à la recherche, dans de nombreuses grandes villes occidentales, d’acteurs locaux à mobiliser et d’initiatives existant déjà, à valoriser : le collectif a travaillé sur la notion de compost en utilisant et en faisant connaitre les composteurs proposés par la Mairie de Paris, et en récupérant les déchets organiques de plusieurs restaurants de la capitale. Cette action, qui montre également que la culture en ville ne se limite pas à cultiver des plants de courgettes et de tomates, est un exemple de la préoccupation principale de Green Rush qui consiste à combattre le business créé autour du « vert » en valorisant des initiatives réellement intéressantes et en sensibilisant des acteurs ayant du poids (les déchets d’un restaurant conséquent ne représentent pas le même volume que ceux d’un ménage).
De son côté, Refarm the city place le partage d’informations et de bons plans au cœur de sa démarche, en mettant en relation des citadins du monde entier, et ce grâce aux derniers outils de communication. Ils ont notamment créé une application mobile qui permet aux adeptes de partager expériences et expérimentations, de voir pousser les tomates de leur voisin virtuel et de comparer leurs résultats, comme dans un jeu. Le collectif propose aussi aux internautes de partager leurs idées pour créer ou rassembler le matériel qui permettra d'installer une ferme en milieu urbain, en insistant sur la récupération, afin que chacun puisse trouver, gratuitement ou le moins cher possible, le matériel nécessaire, selon son environnement propre.
Qu’en dit l’approche alimentaire des liens entre ville et agriculture ?
La réflexion de Roland Vidal, agri urbaniste et professeur à l’Ecole nationale supérieure du paysage de Versailles, se tourne vers les liens entre ville et agriculture sous l’angle de la gouvernance alimentaire durable, qui est pour lui le souci principal que nous devrions avoir aujourd’hui. L’ensemble des actions en faveur des circuits de proximité participent de la volonté d’améliorer la qualité des produits, en garantissant une juste rémunération des producteurs locaux. Pourtant il convient de s’interroger sur le rôle de ces actions dans le système alimentaire global des villes, sur leurs impacts économiques, environnementaux et sociaux, et sur la façon dont ces initiatives souvent associatives pourraient être intégrées dans la mise en place d’une gouvernance alimentaire urbaine durable.
L’histoire de l’agriculture montre comment ville et agriculture se sont co-organisées dans l’espace. Avant l’invention des machines, les zones agricoles étaient situées près des villages et cités : les zones maraichères en première ceinture, et les produits se transportant mieux en couronnes extérieures. La révolution industrielle, qui a amené des machines et des moyens de transport, a déplacé la ceinture maraichère qui n’avait plus besoin d’être proche de la ville. De cette manière, c’est la figure du maraicher qui faisait le lien entre monde citadin et monde social, qui a disparu. Aujourd’hui, on cherche à recréer cette fonction sociale, et il semble que ce soit cela qui prime, tant le retour de l’agriculture en ville n’est pas encore abouti du point de vue de l’agriculture durable.
La notion de food miles (kilomètres alimentaires) qui mesure la distance parcourue par un aliment depuis sa fabrication jusqu’au consommateur et que l’on cherche à réduire en favorisant les circuits courts et le recours aux producteurs locaux possède des limites : elle ne prend par exemple pas en compte le type de transport utilisé et ainsi les émissions de CO2 qui en dépendent. Les coûts environnementaux d’un petit véhicule type camionnette ou voiture, souvent utilisé pour aller chercher les produits directement à la ferme ou pour effectuer la distribution au sein d’un circuit court, atteignent ceux que produirait un avion pour parcourir la même distance. Des solutions existent pour réduire ces coûts, et pour rendre ces circuits courts plus efficaces. Ainsi, l’utilisation d’un camion intégré dans une logistique de transport permettrait de diviser par deux les coûts environnementaux liés au transport, car il ne repartirait pas à vide.
Des citadins en quête de vert… parce que c’est vital ?
Mais l’agriculture possède des fonctions sociales, paysagères, éducatives et environnementales qu’il convient de valoriser et auxquelles il faut rester attentif. La sociologue Michelle Debré avance ainsi que l’attrait pour la campagne éprouvée par les citadins ne relève peut-être pas d’un besoin véritable, mais plutôt d’un désir ou d’une nostalgie, ce qui n’est pas à condamner, au contraire. Selon elle, maintenant que l’urbanisation est terminée, peut-être qu’est venu le moment où nous parviendrons à retrouver un lien à la nature dans la ville.
Pourtant certaines réalisations semblent bien éloignées des idées de partage et de solidarité. L’existence de clôtures et d’un accès aux jardins réservé à certains habitants interroge par exemple. Cherche-t-on à créer des espaces privés de loisirs pour des citadins occidentaux qui dédient 14% de leur budget à l’alimentation (1) ?
Ainsi, dans quelle mesure est-ce vital pour les citadins de maintenir un lien avec la nature ? Dans quelle mesure ont-ils besoin de se prouver qu’ils sont capables de produire des denrées alimentaires eux-mêmes ?
(1) Sur ce thème, Roland Vidal compare ce type d’espaces verts en ville avec l’agriculture citadine de crise qui se met en place dans des villes comme Colombo au Sri Lanka, où les habitants consacrent près de 90% de leur budget à l’alimentation. Et où là bas, un espace vert cultivé devrait être rendu au bien commun.
Pour poursuivre la réflexion sur la notion d’autosuffisance alimentaire :
« L’autosuffisance agricole des villes, une vaine utopie ? » par Roland Vidal et André Fleury sur laviedesidées.fr
Commentaires
1 30 mai 2012 à 09h18 par Jean-Marc+GANCILLE
Bon article merci Camille.
Voir aussi les excellentes initiatives du Laboratoire d'Urbanisme Agricole (http://www.lua-paris.com/)
2 11 juin 2012 à 14h12 par Lucie Martinez
Super article ! Très complet et instructif ! ^^