Que faire des usages ? Quartier durable et précarité énergétique (1/2)
28/06/2012 - Marie-Haude CARAËS
Le développement durable est donc la prise de conscience des équilibres à trouver entre l’homme, son activité et la nature ; il semble s’imposer aux industriels, aux consommateurs, aux pouvoirs publics et aux citoyens. Depuis quarante ans et peu à peu, chacun prend la mesure de l’impact sur la planète du mode de vie occidental qui repose sur une production et une consommation effrénées de biens industriels. En moins d’un siècle, les objets qui nous entourent se sont multipliés de manière exponentielle : un Européen de classe moyenne possède autant d’objets ou d’équipements qu’un millionnaire des années trente. Ainsi, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, le progrès technique est en mesure de dépasser les capacités de l’homme et les besoins de la société. Une part de ce déséquilibre s’achève et échoue dans le domestique occidental, submergé d’objets : ceux-ci s’accumulent, se stratifient, s’entassent. Les placards sont pleins à craquer, les étagères menacent de déborder. Les objets nouveaux poussent un peu plus les anciens – quasi neufs, fonctionnels mais déjà à l’agonie.
L’apprentissage de la conscience écologique du designer se construit bon an mal an, au fur et à mesure des catastrophes industrielles, des risques sanitaires, des menaces environnementales, autant d’événements qui interrogent inlassablement la responsabilité de l’homme. Agir, certes. Mais comment quand l’identité sociale occidentale est contingentée à la marchandise ? En moins d’un siècle, les objets qui nous entourent se sont multipliés de manière exponentielle : un Européen de classe moyenne possède autant d’objets ou d’équipements qu’un millionnaire des années trente. Ainsi, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, le progrès technique est en mesure de dépasser les capacités de l’homme et les besoins de la société. Une part de ce déséquilibre s’achève et échoue dans le domestique occidental, submergé d’objets : ceux-ci s’accumulent, se stratifient, s’entassent. Les placards sont pleins à craquer, les étagères menacent de déborder. Les objets nouveaux poussent un peu plus les anciens – quasi neufs, fonctionnels mais déjà à l’agonie.
Less is more – slogan attribué à Mies van der Rohe (1), repris par les designers et architectes contemporains – est depuis vingt ans l’aphorisme autour duquel la plupart des concepteurs prennent position. Il demeure une simple déclaration de principe que le système productif peut à l’occasion déclamer mais qui ne dépasse pas l’intention. Demain, on revisitera l’histoire de la société industrielle en termes de production, de distribution et de services. Cette histoire n’en finira pas de s’interroger sur les mécanismes actuels de consommation qui privilégient la satisfaction de posséder à l’usage… Elle s’interrogera aussi sans doute sur l’explosion des techniques et de ses effets sur l’individu. C’est cette question que je vous propose d’aborder.
La relation des individus aux techniques
Trop souvent, la politique de réduction de la consommation d’énergie ne se couple pas d’une interrogation sur les rapports de l’individu aux dispositifs techniques mis en place. Et ce dispositif peut se réaliser de façon autonome sans se préoccuper de la réception d’objets, d’équipement, de services ou de prescriptions complexes.
Le dispositif technique de réduction de la consommation énergétique se présente aux yeux de ceux qui l’utilisent avant tout sous la forme de plaquettes d’information, d’objets, de systèmes, de services plus ou moins complexes. Les rapports qu’entretiennent les individus avec les objets qui prennent en charge la réduction de la consommation (les interfaces : interrupteur, thermostat, veille ; les protections : fenêtres à double ou triple vitrage, calfeutrage, etc ; les filtrages : bouches d’aération, sas d’entrée, etc.) sont d’abord un rapport physique et concret. Pierre Chambat – dans un tout autre contexte, celui des « nouvelles technologies de l’information et de la communication » – rappelle qu’« on ne peut pas raisonner abstraitement à partir de schémas techniques envisagés indépendamment de leur objectivation sous forme d’objets relevant de la culture. Ces objets (...) constituent les interfaces entre la technique et les usagers. Le choix de telle ou telle interface pose la question de la mise en objet de la technique, directement liée à l’acculturation technique (2) » .
Ainsi par exemple :
Vouloir réduire la consommation énergétique passe nécessairement par la compréhension du rapport des individus à la chaîne énergétique mise en place dans l’habitat d’insertion : comprendre l’ensemble des attitudes et connaissances relatives à la consommation d’énergie et à la réduction de la consommation énergétique, comprendre les compétences que les individus doivent et ont envie mobiliser dans ce cadre. Il existe plusieurs types de rapports aux objets, en fonction d’une part de leur caractéristique et d’autre part selon les différentes significations auxquelles ils renvoient. En reprenant l’analyse de Gilbert Simondon(3), on peut supposer que certains appareils se trouvent inscrits dans des pratiques magiques, alors que d’autres en sont au stade instrumental, sans compter ceux qui sont définitivement rejetés. Les acteurs, les éléments naturels et les dispositifs techniques sortent transformés de ces confrontations.
Concevoir une technique revient à « configurer » ses usagers, c’est-à-dire à intégrer en amont une définition de l’identité des usagers ainsi que les différentes contraintes susceptibles d’intervenir lors de l’utilisation. Et ordinairement, la relation à l’usager est perçue sous l’angle de la coopération. Certes, dans l’utilisation, les usagers font un travail d’interprétation de la technique, guidés par la façon dont celle-ci a été conçue. Pourtant, d’autres pratiques sont à observer et à étudier : détournement, variante, déviance, désintérêt, etc.
Dans la deuxième partie de l’article nous aborderons les solutions envisageables pour améliorer la compréhension et les connaissances sur l’usage de l’énergie.
(1) Le poète anglais, Robert Browning – et non Mies van der Rohe – est l’auteur, en 1855, de ce vers, in Hommes et Femmes.
(2) Pierre Chambat, « Technologies à domicile », Esprit, 1992, pp. 99-112.
(3) Gilbert Simondon, Du mode d'existence des objets techniques, Paris, Aubier, 1958 (édition augmentée en 1989).
L’apprentissage de la conscience écologique du designer se construit bon an mal an, au fur et à mesure des catastrophes industrielles, des risques sanitaires, des menaces environnementales, autant d’événements qui interrogent inlassablement la responsabilité de l’homme. Agir, certes. Mais comment quand l’identité sociale occidentale est contingentée à la marchandise ? En moins d’un siècle, les objets qui nous entourent se sont multipliés de manière exponentielle : un Européen de classe moyenne possède autant d’objets ou d’équipements qu’un millionnaire des années trente. Ainsi, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, le progrès technique est en mesure de dépasser les capacités de l’homme et les besoins de la société. Une part de ce déséquilibre s’achève et échoue dans le domestique occidental, submergé d’objets : ceux-ci s’accumulent, se stratifient, s’entassent. Les placards sont pleins à craquer, les étagères menacent de déborder. Les objets nouveaux poussent un peu plus les anciens – quasi neufs, fonctionnels mais déjà à l’agonie.
Less is more – slogan attribué à Mies van der Rohe (1), repris par les designers et architectes contemporains – est depuis vingt ans l’aphorisme autour duquel la plupart des concepteurs prennent position. Il demeure une simple déclaration de principe que le système productif peut à l’occasion déclamer mais qui ne dépasse pas l’intention. Demain, on revisitera l’histoire de la société industrielle en termes de production, de distribution et de services. Cette histoire n’en finira pas de s’interroger sur les mécanismes actuels de consommation qui privilégient la satisfaction de posséder à l’usage… Elle s’interrogera aussi sans doute sur l’explosion des techniques et de ses effets sur l’individu. C’est cette question que je vous propose d’aborder.
La relation des individus aux techniques
Trop souvent, la politique de réduction de la consommation d’énergie ne se couple pas d’une interrogation sur les rapports de l’individu aux dispositifs techniques mis en place. Et ce dispositif peut se réaliser de façon autonome sans se préoccuper de la réception d’objets, d’équipement, de services ou de prescriptions complexes.
Le dispositif technique de réduction de la consommation énergétique se présente aux yeux de ceux qui l’utilisent avant tout sous la forme de plaquettes d’information, d’objets, de systèmes, de services plus ou moins complexes. Les rapports qu’entretiennent les individus avec les objets qui prennent en charge la réduction de la consommation (les interfaces : interrupteur, thermostat, veille ; les protections : fenêtres à double ou triple vitrage, calfeutrage, etc ; les filtrages : bouches d’aération, sas d’entrée, etc.) sont d’abord un rapport physique et concret. Pierre Chambat – dans un tout autre contexte, celui des « nouvelles technologies de l’information et de la communication » – rappelle qu’« on ne peut pas raisonner abstraitement à partir de schémas techniques envisagés indépendamment de leur objectivation sous forme d’objets relevant de la culture. Ces objets (...) constituent les interfaces entre la technique et les usagers. Le choix de telle ou telle interface pose la question de la mise en objet de la technique, directement liée à l’acculturation technique (2) » .
Ainsi par exemple :
- Quel est le statut de l’objet technique de réduction de la consommation d’énergie ?
- Quelle est la signification de l’usage des techniques ? Ou du non usage ? Ou d’un usage iconoclaste ?
- Quels sont les avantages relatifs de tel objet ou tel système ?
- Quelle est la compatibilité de tel objet ou systèmes avec les usages ?
- Quel est le degré de complexité de tel objet ?
- Quelle est sa visibilité ?
- Quels sont les effets de cette visibilité ?
- L’usager a-t-il la possibilité de la tester ?
- Quelles sont les conditions et les disparités d’utilisation (qui fait quoi ? avec quelle fréquence ?) ?
Vouloir réduire la consommation énergétique passe nécessairement par la compréhension du rapport des individus à la chaîne énergétique mise en place dans l’habitat d’insertion : comprendre l’ensemble des attitudes et connaissances relatives à la consommation d’énergie et à la réduction de la consommation énergétique, comprendre les compétences que les individus doivent et ont envie mobiliser dans ce cadre. Il existe plusieurs types de rapports aux objets, en fonction d’une part de leur caractéristique et d’autre part selon les différentes significations auxquelles ils renvoient. En reprenant l’analyse de Gilbert Simondon(3), on peut supposer que certains appareils se trouvent inscrits dans des pratiques magiques, alors que d’autres en sont au stade instrumental, sans compter ceux qui sont définitivement rejetés. Les acteurs, les éléments naturels et les dispositifs techniques sortent transformés de ces confrontations.
Concevoir une technique revient à « configurer » ses usagers, c’est-à-dire à intégrer en amont une définition de l’identité des usagers ainsi que les différentes contraintes susceptibles d’intervenir lors de l’utilisation. Et ordinairement, la relation à l’usager est perçue sous l’angle de la coopération. Certes, dans l’utilisation, les usagers font un travail d’interprétation de la technique, guidés par la façon dont celle-ci a été conçue. Pourtant, d’autres pratiques sont à observer et à étudier : détournement, variante, déviance, désintérêt, etc.
Dans la deuxième partie de l’article nous aborderons les solutions envisageables pour améliorer la compréhension et les connaissances sur l’usage de l’énergie.
(1) Le poète anglais, Robert Browning – et non Mies van der Rohe – est l’auteur, en 1855, de ce vers, in Hommes et Femmes.
(2) Pierre Chambat, « Technologies à domicile », Esprit, 1992, pp. 99-112.
(3) Gilbert Simondon, Du mode d'existence des objets techniques, Paris, Aubier, 1958 (édition augmentée en 1989).
- Etude des usages. Analyse photographique © Fanny Herbert & Brice Dury / Cité du design