Que faire des usages ? Quartier durable et précarité énergétique (2/2)
04/07/2012 - Marie-Haude CARAËS
Dans la première partie de l’article, nous avons abordé les relations des individus avec les techniques liées la consommation d’énergie et nous nous sommes interrogés sur ce qui influence et permet de modifier les usages.
Pour une sociologie de l’appropriation
Pourquoi étudier l’usage quand il semble évident qu’une réponse technique permettrait de résoudre la situation ? Il est nécessaire d’améliorer les connaissances sur l’usage de l’énergie sous peine de réaliser des contre-performances. Ainsi, les individus même démunis sont des acteurs dont les décisions influencent leur consommation d’énergie. Sans action avec eux, plutôt que sur eux, il y a fort à parier que les politiques incitatives échouent au seuil du foyer. Le dispositif technique de réduction de la consommation d’énergie n’opère pas dans un vide social ; il ne procède pas davantage par novation ou substitution radicale. Il interfère avec des pratiques existantes. La question énergétique dans l’habitat est une configuration socio-technique (un champ de contraintes et de possibles, un modus operandi plus ou moins flexible et surtout un ensemble de problèmes pratiques ou organisationnels à résoudre). Il faut comprendre cette question énergétique comme un rapport constant, une tension entre une logique technique et une logique sociale. C’est pourquoi la notion « d’usage » est centrale qui permet de montrer l’enchevêtrement de la technique et du social, notamment à travers les diverses représentations de l’usager.
L’usager est-il paresseux ? Effectivement s’il accordait un peu de son temps à la bonne compréhension d’un service ou d’un objet, beaucoup de projets s’en trouveraient facilités. Mais on aura tort de s’en prendre à lui : l’utilisateur ne peut pas consacrer une demi-journée à l’apprentissage des fonctions d’un nouveau réveil, une autre à régler le décodeur télé, de même pour le maniement d’un appareil photo numérique, la compréhension d’un site internet, les fonctions d’un four, les possibilités du nouveau Word ou le pilotage d’une borne SNCF. L’accumulation des techniques est devenue telle que les concepteurs doivent intégrer la situation d’un usager néophyte et pressé, à leur conception : c’est la règle des nouveaux systèmes contemporains, assouplir le travail de l’amateur si l’on ne veut pas qu’il fuit. Pour ce faire, le design doit savoir défendre l’avis de l’utilisateur, même si cela implique des bizarreries techniques. Pour ceci, il dispose de plusieurs stratégies : concevoir des systèmes qui se comprennent instinctivement, dissimuler les couches techniques pour ne laisser paraître que le strict nécessaire, s’appuyer sur des usages existants, user de métaphores et d’images pour expliquer la nouveauté. Dans les cas où cela s’avère nécessaire, le designer cherche également à accorder les projets à un type d’usage et d’usagers qui peuvent rejeter une forme qui ne leur ressemble pas, parce que naïve ou froide, par exemple.
a- L’appropriation des techniques
La notion « d’usage » doit être précisée. En effet, elle connaît de nombreuses acceptions qui sous-tendent des conceptions différentes de la technique et du social. La notion « d’usage » est convoquée pour à la fois repérer, décrire et analyser des pratiques, des attitudes et des représentations relatifs à la consommation d’énergie et au dispositif technique de réduction de cette consommation. Il s’agit de s’attacher à l’analyse de la consommation et du dispositif technique comme un construit social et à l’étude de son appropriation par l’usager – autrement dit à l’analyse de la formation des usages sociaux. L’usage ne peut être réduit à la seule manipulation de l’objet technique, il a une épaisseur sociale. L’approche de l’appropriation sociale des techniques permet de dépasser l’étude du rapport strict de l’usager à l’objet technique pour élargir l’analyse à la prise en compte de la place qu’occupent les pratiques dans les modes de vie.
L’étude des usages de la chaîne énergétique ne prétend pas donner des clefs pour changer les comportements, mais bien plus repérer des usages énergétiques, en comprendre l’origine, l’inscription culturelle et sociale, pour envisager ensuite les modalités techniques de résolution de la précarité énergétique en tenant compte des usages.
b- Des modes d’habiter singuliers
Les usages sont un continuum allant d’usages déjà structurés aux usages en voie de formation, renvoyant à une diversité d’objets (prescrivant eux-mêmes des modalités spécifiques d’appropriation) mais également un continuum historique où un usage structuré peut être déstabilisé puis recomposé sous une autre forme. En effet, même si les pratiques témoignent d’une pénétration des valeurs portées par les objets techniques, elles ne se conforment pas à des modèles d’utilisation rationnelle et univoque. Les modes de faire développés restent singuliers et propres à chaque usager. A la suite de Michel de Certeau (4), des recherches qui se sont attachées à l’étude de l’appropriation des techniques, ont révélé un usager actif, rusé, capable de créer ses propres usages. Comment se constituent des usages différenciés de la consommation d’énergie selon les familles, notamment à travers l’examen des « significations d’usages ». L’analyse des usages révèlera la fabrication d’une culture familiale bâtie autour de styles d’interactions particuliers, d’habitudes et de rituels d’organisation ainsi que d’habitudes de consommation qui portent également les traces du contexte social dans lequel les pratiques prennent place.
c- Le foyer comme économie morale
La question de la réduction de la précarité énergétique passe aussi par des questions de consommation et de surconsommation. L’individu est sollicité par la société de consommation qui incite à la consommation et à l’acquisition comme modalité majeure de fabrication de son identité et de son mode d’intégration sociale. La conceptualisation du foyer comme « économie morale »(5) permet de comprendre l’usage des techniques et les pratiques de consommation dans leur relation avec le monde extérieur. Le foyer est une économie au sens où il participe – via ses membres – à une activité de consommation et il est une économie morale au sens où cette activité de consommation est construite par des goûts, des usages, des pratiques, des connaissances, de modes de reconnaissances socio-culturels. Il est donc nécessaire d’appréhender les rapports des individus à la consommation, question nodale.
(4) Michel de Certeau, Luce Giard, Pierre Mayol, L'Invention du quotidien, 1. Arts de faire et 2. Habiter, cuisiner, Paris, Gallimard, 1990.
(5) R. Silverstone, D. Morley, A. Dalhberg and S. Livingstone « Families, Technologies et Consumption : The Household and information and Communication Technologies », ESRC, Program on Information and Communication Technologies Conférence, Brunel University, 1989.
Pour une sociologie de l’appropriation
Pourquoi étudier l’usage quand il semble évident qu’une réponse technique permettrait de résoudre la situation ? Il est nécessaire d’améliorer les connaissances sur l’usage de l’énergie sous peine de réaliser des contre-performances. Ainsi, les individus même démunis sont des acteurs dont les décisions influencent leur consommation d’énergie. Sans action avec eux, plutôt que sur eux, il y a fort à parier que les politiques incitatives échouent au seuil du foyer. Le dispositif technique de réduction de la consommation d’énergie n’opère pas dans un vide social ; il ne procède pas davantage par novation ou substitution radicale. Il interfère avec des pratiques existantes. La question énergétique dans l’habitat est une configuration socio-technique (un champ de contraintes et de possibles, un modus operandi plus ou moins flexible et surtout un ensemble de problèmes pratiques ou organisationnels à résoudre). Il faut comprendre cette question énergétique comme un rapport constant, une tension entre une logique technique et une logique sociale. C’est pourquoi la notion « d’usage » est centrale qui permet de montrer l’enchevêtrement de la technique et du social, notamment à travers les diverses représentations de l’usager.
L’usager est-il paresseux ? Effectivement s’il accordait un peu de son temps à la bonne compréhension d’un service ou d’un objet, beaucoup de projets s’en trouveraient facilités. Mais on aura tort de s’en prendre à lui : l’utilisateur ne peut pas consacrer une demi-journée à l’apprentissage des fonctions d’un nouveau réveil, une autre à régler le décodeur télé, de même pour le maniement d’un appareil photo numérique, la compréhension d’un site internet, les fonctions d’un four, les possibilités du nouveau Word ou le pilotage d’une borne SNCF. L’accumulation des techniques est devenue telle que les concepteurs doivent intégrer la situation d’un usager néophyte et pressé, à leur conception : c’est la règle des nouveaux systèmes contemporains, assouplir le travail de l’amateur si l’on ne veut pas qu’il fuit. Pour ce faire, le design doit savoir défendre l’avis de l’utilisateur, même si cela implique des bizarreries techniques. Pour ceci, il dispose de plusieurs stratégies : concevoir des systèmes qui se comprennent instinctivement, dissimuler les couches techniques pour ne laisser paraître que le strict nécessaire, s’appuyer sur des usages existants, user de métaphores et d’images pour expliquer la nouveauté. Dans les cas où cela s’avère nécessaire, le designer cherche également à accorder les projets à un type d’usage et d’usagers qui peuvent rejeter une forme qui ne leur ressemble pas, parce que naïve ou froide, par exemple.
a- L’appropriation des techniques
La notion « d’usage » doit être précisée. En effet, elle connaît de nombreuses acceptions qui sous-tendent des conceptions différentes de la technique et du social. La notion « d’usage » est convoquée pour à la fois repérer, décrire et analyser des pratiques, des attitudes et des représentations relatifs à la consommation d’énergie et au dispositif technique de réduction de cette consommation. Il s’agit de s’attacher à l’analyse de la consommation et du dispositif technique comme un construit social et à l’étude de son appropriation par l’usager – autrement dit à l’analyse de la formation des usages sociaux. L’usage ne peut être réduit à la seule manipulation de l’objet technique, il a une épaisseur sociale. L’approche de l’appropriation sociale des techniques permet de dépasser l’étude du rapport strict de l’usager à l’objet technique pour élargir l’analyse à la prise en compte de la place qu’occupent les pratiques dans les modes de vie.
L’étude des usages de la chaîne énergétique ne prétend pas donner des clefs pour changer les comportements, mais bien plus repérer des usages énergétiques, en comprendre l’origine, l’inscription culturelle et sociale, pour envisager ensuite les modalités techniques de résolution de la précarité énergétique en tenant compte des usages.
b- Des modes d’habiter singuliers
Les usages sont un continuum allant d’usages déjà structurés aux usages en voie de formation, renvoyant à une diversité d’objets (prescrivant eux-mêmes des modalités spécifiques d’appropriation) mais également un continuum historique où un usage structuré peut être déstabilisé puis recomposé sous une autre forme. En effet, même si les pratiques témoignent d’une pénétration des valeurs portées par les objets techniques, elles ne se conforment pas à des modèles d’utilisation rationnelle et univoque. Les modes de faire développés restent singuliers et propres à chaque usager. A la suite de Michel de Certeau (4), des recherches qui se sont attachées à l’étude de l’appropriation des techniques, ont révélé un usager actif, rusé, capable de créer ses propres usages. Comment se constituent des usages différenciés de la consommation d’énergie selon les familles, notamment à travers l’examen des « significations d’usages ». L’analyse des usages révèlera la fabrication d’une culture familiale bâtie autour de styles d’interactions particuliers, d’habitudes et de rituels d’organisation ainsi que d’habitudes de consommation qui portent également les traces du contexte social dans lequel les pratiques prennent place.
c- Le foyer comme économie morale
La question de la réduction de la précarité énergétique passe aussi par des questions de consommation et de surconsommation. L’individu est sollicité par la société de consommation qui incite à la consommation et à l’acquisition comme modalité majeure de fabrication de son identité et de son mode d’intégration sociale. La conceptualisation du foyer comme « économie morale »(5) permet de comprendre l’usage des techniques et les pratiques de consommation dans leur relation avec le monde extérieur. Le foyer est une économie au sens où il participe – via ses membres – à une activité de consommation et il est une économie morale au sens où cette activité de consommation est construite par des goûts, des usages, des pratiques, des connaissances, de modes de reconnaissances socio-culturels. Il est donc nécessaire d’appréhender les rapports des individus à la consommation, question nodale.
(4) Michel de Certeau, Luce Giard, Pierre Mayol, L'Invention du quotidien, 1. Arts de faire et 2. Habiter, cuisiner, Paris, Gallimard, 1990.
(5) R. Silverstone, D. Morley, A. Dalhberg and S. Livingstone « Families, Technologies et Consumption : The Household and information and Communication Technologies », ESRC, Program on Information and Communication Technologies Conférence, Brunel University, 1989.