Il faut cultiver notre jardin urbain (3/6) : Replantons du lien social
Dans l’épisode précédent, nous avons vu quels effets bénéfiques l’agriculture urbaine pouvait avoir sur l’environnement. Cependant, ce n’est pas l’argument le plus mis en avant par les agro-urbains. Dans la mesure où, dans les pays du Nord, la sécurité alimentaire ne semble pas directement menacée, les véritables bienfaits de la culture en ville se situent au niveau social. La majorité des associations qui fleurissent autour de ces thématiques véhiculent avant tout des valeurs de partage, et une autre façon de consommer, ensemble.
Une appropriation de l’espace public
« Il faisait ainsi un trou dans lequel il mettait un gland, puis il rebouchait le trou. Il plantait des chênes. Je lui demandai si la terre lui appartenait. Il me répondit que non. Savait-il à qui elle était ? Il ne savait pas. Il supposait que c'était une terre communale, ou peut-être, était-elle propriété de gens qui ne s'en souciaient pas ? Lui ne se souciait pas de connaître les propriétaires ». Cet extrait de la nouvelle de Jean Giono, L’homme qui plantait des arbres, reflète parfaitement la volonté des mouvements de Guerrilla Gardening. Leur leitmotiv ? Planter les espaces en friche en milieu urbain, les dents creuses, et autres espaces interstitiels inutilisés. L’intérêt est à la fois écologique, mais également politique. En effet, un tel acte ne se contente pas de réintroduire de la biodiversité en ville ou de la nourriture pour les citadins, il repousse les limites de la propriété et tente d’en finir avec la séparation spatiale de la production alimentaire et de l’habitat urbain. Ces actions permettent de créer plus de mixité fonctionnelle dans les villes, ce qui est un des objectifs de nombreux écoquartiers en cours de construction. Ces actes sont des formes de manifestations non violentes destinés à interpeler les passants sur leur rapport à la nourriture : que mangent-ils et comment sont produits les aliments.
Pourquoi cette appropriation est-elle nécessaire ? Parce que les citadins ont un véritable besoin de nature. Sa présence est synonyme de bien être et son absence a un réel impact sur le moral et la santé des urbains. C’est pour cela que se sont développés les espaces verts, indispensables poumons des villes et lieux de ressourcement. Cependant, les jardins publics, malgré leur appellation « d’espaces publics » ont également un caractère excluant, cloisonnés par des barrières, inaccessibles à partir d’une certaine heure. En plus d’être complètement artificialisés, la plupart des jardins publics ne sont pas des espaces de liberté : les accès la à pelouse sont parfois réglementés et les jeux de ballons interdits. Bien que ces restrictions ne s’appliquent pas à tous les espaces verts, fort heureusement, ils ont néanmoins en commun ce caractère domestiqué qui ne donne pas l’impression du vivant.
L’art d’être ensemble : la culture du partage
L’agriculture urbaine actuelle tente de retrouver l’esprit des jardins partagés (appelés également jardins familiaux) dont nous avons déjà parlé dans les épisodes précédents. La nourriture produite dans un jardin partagé bénéficie à tous les jardiniers qui ont contribué à l’entretien du jardin, et une atmosphère de partage se crée autour du produit. C’est pour exacerber ces valeurs que s’est créé en Angleterre en 2008, dans la ville de Todmorden, le mouvement des Incredible Edible (Incroyables comestibles en français). Des habitants de cette petite ville en crise ont un jour décidés de mettre à disposition gratuitement le surplus de légumes qu’ils produisaient dans leur jardin. L’idée a fait son chemin et s’est répandue aux quatre coins de l’Europe. Si vous croisez sur un trottoir un bac de légumes accompagné d’un panneau « Nourriture à partager », vous saurez qui est derrière cette initiative. En France, le collectif existe depuis un an dans de nombreuses villes de France. Au début, les passants sont plutôt surpris, voire méfiants. « On va tout vous voler ! » a pu entendre Amélie Anache, membre du collectif parisien. L’idée a donc encore du chemin à faire mais le processus est lancé : « on sème dans la tête des gens, ça va les toucher à terme », confie Amélie. Elle ajoute : « Partager est un acte un peu provocateur dans notre société d’aujourd’hui où tout à une valeur marchande, surtout les fruits et les légumes ! ». Par cet acte anodin de don de surplus de nourriture, les Incroyables comestibles invitent à réfléchir sur notre système de distribution et ses méfaits. Le gaspillage qu’il engendre par exemple, qui représente 20% de nos déchets quotidiens. Sur ce sujet, l’association Disco Soupe a trouvé la parade : elle récupère les invendus des marchés et invite toutes les personnes de bonne volonté à les éplucher, les couper, pour en faire une grande soupe (ou une grande salade), le tout au rythme d’une musique disco entrainante, de façon à faire de cet acte citoyen un moment festif. Ces actions, en plus de stimuler la prise de conscience collective, se développent au point de créer des emplois et de redresser l’économie d’une ville, comme ce fut le cas à Todmorden.
L’agriculture urbaine se trouve alors être un levier de l’économie sociale et solidaire : les jardins partagés sont bien souvent des chantiers de réinsertion sociale. Une excellente façon de se réintégrer dans un processus social et de sortir de l’exclusion. En effet, les entreprises de réinsertion par l’entretien des espaces verts et la production alimentaire sont nombreuses, et se développement depuis une vingtaine d’année, en particulier dans le périurbain. Les associations comme Espaces (Val-de-Seine) et Halages (Seine-Saint-Denis), toutes les deux créées dans le milieu des années 1990, emploient chacune une centaine de personnes en réinsertion, en leur donnant une formation qualifiante des les domaines de l’environnement et du paysage. Le lien avec la terre et la nourriture pour sortir d’une situation d’exclusion sociale et professionnelle donne du sens et facilite la réintégration.
Mettre un peu d’épinards dans le beurre
« Manger 5 fruits et légumes par jours ». Une préconisation gouvernementale ultra médiatisée depuis plusieurs années, mais qu’en est-il dans la réalité ? Beaucoup de foyers en difficultés ignorent cette recommandation, non seulement pour des raisons financières (les légumes, de bonne qualité, coutent de plus en plus chers) mais également d’éducation ; parce qu’ils ne savent pas les cuisiner et n’en connaissent pas les qualités nutritives. Ainsi, les fruits et légumes les plus consommés restent de loin la pomme de terre (67,1 kg/an/personne), et la tomate (27,8 kg/an/personne)(1), même hors saison. La question de l’agriculture en ville est donc également une problématique de santé publique. Afin de lutter contre l’obésité grandissante des français, en particulier dans les catégories les plus pauvres de la population, apprendre à se nourrir sainement, et avec des produits frais, semble être un impératif de premier ordre. Mais cela doit s’accompagner d’une éducation à la nutrition. Dans cette optique, une coopérative agricole du Nord Pas-de-Calais a créé en 2006 des « Biocabas accessibles »(2), pour les ménages en difficultés, à prix réduit (cela a été rendu possible par le Conseil Général, qui finance la moitié du panier bio). Ils accompagnent cette initiative d’un atelier de cuisine destinés à ces mêmes ménages, afin que les légumes bios ne soient pas réservés à un public aisé de « bobos » avisés. Un moyen efficace de lutter contre la malbouffe, mais dont l’efficience est encore trop peu étendue.
C’est dès le plus jeune âge que cette éducation à l’alimentation, en mettant des potagers dans les cours d’école, par exemple. En plus de leur faire découvrir un rutabaga ou un chou romanesco, les enfants pourront comprendre d’autant mieux les rythmes saisonniers, sans parler du caractère ludique de mettre les mains dans la terre. Les associations citées plus hauts, en plus d’investir l’espace public et donner de la matière à réflexion, ont également une dimension éducative forte : donner à voir la plante, le légume à tous les stades de sa maturation, le toucher et en connaitre la consistance, est un élément qui manque aujourd’hui. Et pourtant, les enfants semblent demandeurs de ce lien avec la nature : à Saint-Nazaire, le conseil municipal des enfants a voté pour un projet des Incroyables Comestibles : un parcours pédagogique sur le thème de la nourriture à partager. « Les enfants sont les meilleurs ambassadeurs du mouvement » confie Amélie Anache.
Autres associations à découvrir :
Terres en Villes
Parking Day
Les Mauvaises herbes
Ecobox
Graine de Jardin
A lire également :
Le jardinage, créateur de liens sociaux dans les « quartiers » sur midi:onze.
(1) Source : FAO
(2) Pour en savoir plus sur l’association Norabio : voir vidéo ci dessous.
Une appropriation de l’espace public
« Il faisait ainsi un trou dans lequel il mettait un gland, puis il rebouchait le trou. Il plantait des chênes. Je lui demandai si la terre lui appartenait. Il me répondit que non. Savait-il à qui elle était ? Il ne savait pas. Il supposait que c'était une terre communale, ou peut-être, était-elle propriété de gens qui ne s'en souciaient pas ? Lui ne se souciait pas de connaître les propriétaires ». Cet extrait de la nouvelle de Jean Giono, L’homme qui plantait des arbres, reflète parfaitement la volonté des mouvements de Guerrilla Gardening. Leur leitmotiv ? Planter les espaces en friche en milieu urbain, les dents creuses, et autres espaces interstitiels inutilisés. L’intérêt est à la fois écologique, mais également politique. En effet, un tel acte ne se contente pas de réintroduire de la biodiversité en ville ou de la nourriture pour les citadins, il repousse les limites de la propriété et tente d’en finir avec la séparation spatiale de la production alimentaire et de l’habitat urbain. Ces actions permettent de créer plus de mixité fonctionnelle dans les villes, ce qui est un des objectifs de nombreux écoquartiers en cours de construction. Ces actes sont des formes de manifestations non violentes destinés à interpeler les passants sur leur rapport à la nourriture : que mangent-ils et comment sont produits les aliments.
Pourquoi cette appropriation est-elle nécessaire ? Parce que les citadins ont un véritable besoin de nature. Sa présence est synonyme de bien être et son absence a un réel impact sur le moral et la santé des urbains. C’est pour cela que se sont développés les espaces verts, indispensables poumons des villes et lieux de ressourcement. Cependant, les jardins publics, malgré leur appellation « d’espaces publics » ont également un caractère excluant, cloisonnés par des barrières, inaccessibles à partir d’une certaine heure. En plus d’être complètement artificialisés, la plupart des jardins publics ne sont pas des espaces de liberté : les accès la à pelouse sont parfois réglementés et les jeux de ballons interdits. Bien que ces restrictions ne s’appliquent pas à tous les espaces verts, fort heureusement, ils ont néanmoins en commun ce caractère domestiqué qui ne donne pas l’impression du vivant.
L’art d’être ensemble : la culture du partage
L’agriculture urbaine actuelle tente de retrouver l’esprit des jardins partagés (appelés également jardins familiaux) dont nous avons déjà parlé dans les épisodes précédents. La nourriture produite dans un jardin partagé bénéficie à tous les jardiniers qui ont contribué à l’entretien du jardin, et une atmosphère de partage se crée autour du produit. C’est pour exacerber ces valeurs que s’est créé en Angleterre en 2008, dans la ville de Todmorden, le mouvement des Incredible Edible (Incroyables comestibles en français). Des habitants de cette petite ville en crise ont un jour décidés de mettre à disposition gratuitement le surplus de légumes qu’ils produisaient dans leur jardin. L’idée a fait son chemin et s’est répandue aux quatre coins de l’Europe. Si vous croisez sur un trottoir un bac de légumes accompagné d’un panneau « Nourriture à partager », vous saurez qui est derrière cette initiative. En France, le collectif existe depuis un an dans de nombreuses villes de France. Au début, les passants sont plutôt surpris, voire méfiants. « On va tout vous voler ! » a pu entendre Amélie Anache, membre du collectif parisien. L’idée a donc encore du chemin à faire mais le processus est lancé : « on sème dans la tête des gens, ça va les toucher à terme », confie Amélie. Elle ajoute : « Partager est un acte un peu provocateur dans notre société d’aujourd’hui où tout à une valeur marchande, surtout les fruits et les légumes ! ». Par cet acte anodin de don de surplus de nourriture, les Incroyables comestibles invitent à réfléchir sur notre système de distribution et ses méfaits. Le gaspillage qu’il engendre par exemple, qui représente 20% de nos déchets quotidiens. Sur ce sujet, l’association Disco Soupe a trouvé la parade : elle récupère les invendus des marchés et invite toutes les personnes de bonne volonté à les éplucher, les couper, pour en faire une grande soupe (ou une grande salade), le tout au rythme d’une musique disco entrainante, de façon à faire de cet acte citoyen un moment festif. Ces actions, en plus de stimuler la prise de conscience collective, se développent au point de créer des emplois et de redresser l’économie d’une ville, comme ce fut le cas à Todmorden.
L’agriculture urbaine se trouve alors être un levier de l’économie sociale et solidaire : les jardins partagés sont bien souvent des chantiers de réinsertion sociale. Une excellente façon de se réintégrer dans un processus social et de sortir de l’exclusion. En effet, les entreprises de réinsertion par l’entretien des espaces verts et la production alimentaire sont nombreuses, et se développement depuis une vingtaine d’année, en particulier dans le périurbain. Les associations comme Espaces (Val-de-Seine) et Halages (Seine-Saint-Denis), toutes les deux créées dans le milieu des années 1990, emploient chacune une centaine de personnes en réinsertion, en leur donnant une formation qualifiante des les domaines de l’environnement et du paysage. Le lien avec la terre et la nourriture pour sortir d’une situation d’exclusion sociale et professionnelle donne du sens et facilite la réintégration.
Mettre un peu d’épinards dans le beurre
« Manger 5 fruits et légumes par jours ». Une préconisation gouvernementale ultra médiatisée depuis plusieurs années, mais qu’en est-il dans la réalité ? Beaucoup de foyers en difficultés ignorent cette recommandation, non seulement pour des raisons financières (les légumes, de bonne qualité, coutent de plus en plus chers) mais également d’éducation ; parce qu’ils ne savent pas les cuisiner et n’en connaissent pas les qualités nutritives. Ainsi, les fruits et légumes les plus consommés restent de loin la pomme de terre (67,1 kg/an/personne), et la tomate (27,8 kg/an/personne)(1), même hors saison. La question de l’agriculture en ville est donc également une problématique de santé publique. Afin de lutter contre l’obésité grandissante des français, en particulier dans les catégories les plus pauvres de la population, apprendre à se nourrir sainement, et avec des produits frais, semble être un impératif de premier ordre. Mais cela doit s’accompagner d’une éducation à la nutrition. Dans cette optique, une coopérative agricole du Nord Pas-de-Calais a créé en 2006 des « Biocabas accessibles »(2), pour les ménages en difficultés, à prix réduit (cela a été rendu possible par le Conseil Général, qui finance la moitié du panier bio). Ils accompagnent cette initiative d’un atelier de cuisine destinés à ces mêmes ménages, afin que les légumes bios ne soient pas réservés à un public aisé de « bobos » avisés. Un moyen efficace de lutter contre la malbouffe, mais dont l’efficience est encore trop peu étendue.
C’est dès le plus jeune âge que cette éducation à l’alimentation, en mettant des potagers dans les cours d’école, par exemple. En plus de leur faire découvrir un rutabaga ou un chou romanesco, les enfants pourront comprendre d’autant mieux les rythmes saisonniers, sans parler du caractère ludique de mettre les mains dans la terre. Les associations citées plus hauts, en plus d’investir l’espace public et donner de la matière à réflexion, ont également une dimension éducative forte : donner à voir la plante, le légume à tous les stades de sa maturation, le toucher et en connaitre la consistance, est un élément qui manque aujourd’hui. Et pourtant, les enfants semblent demandeurs de ce lien avec la nature : à Saint-Nazaire, le conseil municipal des enfants a voté pour un projet des Incroyables Comestibles : un parcours pédagogique sur le thème de la nourriture à partager. « Les enfants sont les meilleurs ambassadeurs du mouvement » confie Amélie Anache.
Autres associations à découvrir :
Terres en Villes
Parking Day
Les Mauvaises herbes
Ecobox
Graine de Jardin
A lire également :
Le jardinage, créateur de liens sociaux dans les « quartiers » sur midi:onze.
(1) Source : FAO
(2) Pour en savoir plus sur l’association Norabio : voir vidéo ci dessous.
- Crédit photo : Guerrilla Gardening
- Rentabilisation de l'espace pour jeunes pousses (Incredible Edible)
- Jardin partagé Lyon
- Jardin partagé Lyon 2