Rencontre avec Antoine Lagneau : Initier le mouvement de la transition pour rendre les villes plus robustes
La rédaction du site éco-quartiers est partie à la rencontre d’Antoine Lagneau, initiateur du collectif « Quartiers en transition » qui œuvre dans le 18ème arrondissement de Paris. Inspiré de Rob Hopkins, la transition est un mouvement qui vise à faire prendre conscience du pic pétrolier, et agir localement pour préparer la société post-pétrole. Ce mouvement est né en Angleterre en 2006 dans la petite ville de Totnes, ville en crise qui a réussit à redresser son économie par des initiatives locales, et qui vise l’autonomie énergétique d’ici 2030 (1). Un exemple repris par plus de 150 mouvements partout dans le monde. Le mouvement de la transition véhicule une image résolument positive de l’avenir de la ville, et se base sur le concept de la résilience (capacité d’un territoire ou d’une population à surmonter les crises économiques et/ou écologiques) et œuvre pour une ville plus durable.
Bonjour Antoine, présentez-nous votre collectif et comment il est né dans le 18ème arrondissement.
J’ai découvert le mouvement de la transition un peu par hasard. Ça faisait des années que j’étais engagé politiquement, en étant toujours un peu frustré sur l’aspect action directe, en gros je trouve qu’il y a un manque évident d’actions en politique. Je suis un jour tombé sur Rob Hopkins et son mouvement et j’ai décidé de créer le blog « Quartiers en transition » , ce qui a permis d’agréger d’autres personnes et associations, qui étaient déjà engagées dans des initiatives propres. Mais on vient tous à peu près d'univers militants, associatifs, écolos, engagés dans des AMAP, les jardins partagés, dans la vélorution, toutes ces thématiques qui ont trait à l'environnement et à l'écologie. Des gens qui, soit étaient déjà engagés dans le mouvement, soit qui de leur coté eux mêmes cherchaient un peu à faire de la transition. L'idée de laquelle je suis parti, c'est que pour parler de transition, il est difficile d’en mettre en pratique les grands principes, comme par exemple l'agriculture urbaine. À l’échelle de Paris, ça ne semble pas très faisable de mettre en pratique ce genre de chose. Du coup, j'ai raisonné à l'échelle d'un quartier, à la fois pour réfléchir à ces thématiques là et à la fois pour essayer de créer du lien social. Dans un quartier, je ne vais pas dire que tout le monde se connait, mais on est quand même dans un espace plus facile pour se parler les uns, les autres.
Que mettez-vous personnellement derrière les concepts de « transition » et de « résilience » ?
Vaste question ! Ce qui m’a plu dans ce mouvement c’est que ça travaillait sur deux choses : le pic pétrolier et la crise climatique ; et surtout cette idée qu’on peut avoir une influence au niveau très local, le discours classique du « petit ruisseau qui fait les grandes rivières ». Pour moi la transition c’est une vraie bonne idée, une vraie bonne synthèse de tout un tas de choses qui étaient déjà en gestation. Mais ce n’est en aucun cas une révolution ! Rob Hopkins a tout de même réussi à matérialiser toutes ces idées : ça arrive au bon moment, où il y a une vraie préoccupation du pic pétrolier, et du pic everythink (le pic de toutes les énergies fossiles). J’y vois comme une espèce d’étincelle qui, en tout cas je l’espère, peut faire émerger de façon beaucoup plus rapide que ça aurait pu l’être autrement, toutes ces actions qu’on essaye de mettre en place. Je vois la transition plus comme un levier que comme une vraie doctrine.
Concernant la résilience, c’est un concept à la fois compliqué mais très facile à expliquer à partir du moment où on a compris qu’il fallait rendre les villes plus robustes et plus résistantes aux crises futures, qu’elles soient sociales, environnementales, ou économiques. Sachant qu’avant de les rendre robustes, il faut d’abord essayer de réfléchir à comment la ville peut se reconstruire sur elle-même à partir du moment où il y a eu une catastrophe. A Paris, on peut travailler sur ce concept par des actions comme par exemple l’agriculture urbaine, réfléchir à préserver certains espaces comme la petite ceinture, ou des endroits destinés à accueillir des constructions. Pour nous, travailler sur la résilience, c’est identifier des endroits potentiellement disponibles, en les préservant et en y développant une activité ayant trait à la transition. Ensuite, on essaye de rendre Paris robuste, mais également la région parisienne.
Vous essayez donc de travailler à l’échelle d’un quartier, pour, à terme, rendre la ville plus durable ? Par quelles actions cela passe ?
En termes d’échelle de territoire, et de lien, c’est évidement plus facile de travailler à l’échelle d’un quartier pour faire comprendre les enjeux. Il y a une grande dimension comportementale dans le mouvement de la transition, qui est très basé sur le « do it yourself », sublimé aujourd’hui à Détroit : on voit qu’aujourd’hui, à partir d’une ville complètement détruite, on peut la rendre résiliente, en réemployant tout un tas de chose. Beaucoup de comportement, mais aussi une part de théorie. Il faut expliquer aux gens pourquoi il est nécessaire de se réapproprier la ville. C’est nécessaire parce que, si on veut affronter les crises à venir, et rendre l’atmosphère plus vivable et passer le pic pétrolier, il faut être dans le faire et comprendre pourquoi.
Au niveau des actions menées, on fait beaucoup de choses autour de l’agriculture urbaine, qui est vraiment quelque chose de structurant. Travailler sur l’alimentation est quelque chose de « facile », parce que le champ d’actions est très large. On aimerait contribuer à rendre plus autonome Paris, et que les gens redécouvrent qu’on peut se nourrir localement et non par les systèmes d’importations massives comme Rungis. D’autre part, on a fait il y a quelques semaines le Festival de la Récup. Le Festival des Utopies Concrètes est né entre autre avec Quartiers en transition, on voulait donner encore plus de visibilité et créer encore plus de liens avec les mouvements d’alternatives et les mouvements de résistances (notamment à l’extractivisme : le pompage des énergies du sous sol). Ce sont deux mouvements qui se complètent. La thématique des déchets est aujourd’hui extrêmement forte dans les consciences : il y a une telle accumulation, due en grande partie à l’obsolescence programmée qui nous incite à acheter plus et plus encore. Nous voulons montrer qu’il y a matière à recycler, et réemployer, qu’il existe des nouvelles pratiques de consommation mais aussi comportementales pour éviter d’alimenter cette société de la consommation et cet empilement de déchets qui nuit non seulement à l’environnement mais aussi à l’économie et au social.
Ensuite, on essaye d’investir les zones grises en travaillant sur la réappropriation de l’espace public, parce que la convivialité c’est très important dans la transition. C’est qu’on s’est aperçu qu’il y avait de moins en moins de bancs, dans certains quartiers il en reste, mais dans le 18e, par exemple, de moins en mois. On a donc décidé de se réapproprier les trottoirs en mettant des bancs en carton, le temps d’un happening. C’est complètement éphémère, mais ça nous permet de revendiquer cet espace là. Aujourd’hui, c’est difficile de se réunir dans la ville sans mettre la main au porte-monnaie. On veut montrer qu’il existe aussi des espaces de gratuité, la réappropriation de lieux est très importante pour nous. D’autre part, la revitalisation du commerce local fait partie du mouvement. Une des grandes questions qu’on se pose est comment on peut faire revenir dans nos quartiers des commerces de bouches. Parce qu’aujourd’hui on a que des supers marchés, et dans les superettes, on trouve de tout sauf des produits franciliens. On aimerait créer une monnaie locale qui ferait que l’argent reste au niveau du quartier, et que ça ne s’échappe pas au delà. La transition c’est assez proche du mouvement de la décroissance, et il faut imaginer que la richesse qu’on crée n’est pas forcément monétaire, mais qu’elle est autre. Il faut évidement que tout le monde puisse vivre, mais déjà, si tout le monde avait son potager, ça changerai beaucoup de choses.
Merci Antoine, et bonne continuation pour l’avenir.
(1) Voir vidéo
Pour aller plus loin :
Site officiel du mouvement de la transition en France
Un autre mouvement de transition en région parisienne à Montreuil
Un reportage de France 3 « Avenue de l’Europe » en date du 6 avril 2013, consacré au mouvement de la transition.
Bonjour Antoine, présentez-nous votre collectif et comment il est né dans le 18ème arrondissement.
J’ai découvert le mouvement de la transition un peu par hasard. Ça faisait des années que j’étais engagé politiquement, en étant toujours un peu frustré sur l’aspect action directe, en gros je trouve qu’il y a un manque évident d’actions en politique. Je suis un jour tombé sur Rob Hopkins et son mouvement et j’ai décidé de créer le blog « Quartiers en transition » , ce qui a permis d’agréger d’autres personnes et associations, qui étaient déjà engagées dans des initiatives propres. Mais on vient tous à peu près d'univers militants, associatifs, écolos, engagés dans des AMAP, les jardins partagés, dans la vélorution, toutes ces thématiques qui ont trait à l'environnement et à l'écologie. Des gens qui, soit étaient déjà engagés dans le mouvement, soit qui de leur coté eux mêmes cherchaient un peu à faire de la transition. L'idée de laquelle je suis parti, c'est que pour parler de transition, il est difficile d’en mettre en pratique les grands principes, comme par exemple l'agriculture urbaine. À l’échelle de Paris, ça ne semble pas très faisable de mettre en pratique ce genre de chose. Du coup, j'ai raisonné à l'échelle d'un quartier, à la fois pour réfléchir à ces thématiques là et à la fois pour essayer de créer du lien social. Dans un quartier, je ne vais pas dire que tout le monde se connait, mais on est quand même dans un espace plus facile pour se parler les uns, les autres.
Que mettez-vous personnellement derrière les concepts de « transition » et de « résilience » ?
Vaste question ! Ce qui m’a plu dans ce mouvement c’est que ça travaillait sur deux choses : le pic pétrolier et la crise climatique ; et surtout cette idée qu’on peut avoir une influence au niveau très local, le discours classique du « petit ruisseau qui fait les grandes rivières ». Pour moi la transition c’est une vraie bonne idée, une vraie bonne synthèse de tout un tas de choses qui étaient déjà en gestation. Mais ce n’est en aucun cas une révolution ! Rob Hopkins a tout de même réussi à matérialiser toutes ces idées : ça arrive au bon moment, où il y a une vraie préoccupation du pic pétrolier, et du pic everythink (le pic de toutes les énergies fossiles). J’y vois comme une espèce d’étincelle qui, en tout cas je l’espère, peut faire émerger de façon beaucoup plus rapide que ça aurait pu l’être autrement, toutes ces actions qu’on essaye de mettre en place. Je vois la transition plus comme un levier que comme une vraie doctrine.
Concernant la résilience, c’est un concept à la fois compliqué mais très facile à expliquer à partir du moment où on a compris qu’il fallait rendre les villes plus robustes et plus résistantes aux crises futures, qu’elles soient sociales, environnementales, ou économiques. Sachant qu’avant de les rendre robustes, il faut d’abord essayer de réfléchir à comment la ville peut se reconstruire sur elle-même à partir du moment où il y a eu une catastrophe. A Paris, on peut travailler sur ce concept par des actions comme par exemple l’agriculture urbaine, réfléchir à préserver certains espaces comme la petite ceinture, ou des endroits destinés à accueillir des constructions. Pour nous, travailler sur la résilience, c’est identifier des endroits potentiellement disponibles, en les préservant et en y développant une activité ayant trait à la transition. Ensuite, on essaye de rendre Paris robuste, mais également la région parisienne.
Vous essayez donc de travailler à l’échelle d’un quartier, pour, à terme, rendre la ville plus durable ? Par quelles actions cela passe ?
En termes d’échelle de territoire, et de lien, c’est évidement plus facile de travailler à l’échelle d’un quartier pour faire comprendre les enjeux. Il y a une grande dimension comportementale dans le mouvement de la transition, qui est très basé sur le « do it yourself », sublimé aujourd’hui à Détroit : on voit qu’aujourd’hui, à partir d’une ville complètement détruite, on peut la rendre résiliente, en réemployant tout un tas de chose. Beaucoup de comportement, mais aussi une part de théorie. Il faut expliquer aux gens pourquoi il est nécessaire de se réapproprier la ville. C’est nécessaire parce que, si on veut affronter les crises à venir, et rendre l’atmosphère plus vivable et passer le pic pétrolier, il faut être dans le faire et comprendre pourquoi.
Au niveau des actions menées, on fait beaucoup de choses autour de l’agriculture urbaine, qui est vraiment quelque chose de structurant. Travailler sur l’alimentation est quelque chose de « facile », parce que le champ d’actions est très large. On aimerait contribuer à rendre plus autonome Paris, et que les gens redécouvrent qu’on peut se nourrir localement et non par les systèmes d’importations massives comme Rungis. D’autre part, on a fait il y a quelques semaines le Festival de la Récup. Le Festival des Utopies Concrètes est né entre autre avec Quartiers en transition, on voulait donner encore plus de visibilité et créer encore plus de liens avec les mouvements d’alternatives et les mouvements de résistances (notamment à l’extractivisme : le pompage des énergies du sous sol). Ce sont deux mouvements qui se complètent. La thématique des déchets est aujourd’hui extrêmement forte dans les consciences : il y a une telle accumulation, due en grande partie à l’obsolescence programmée qui nous incite à acheter plus et plus encore. Nous voulons montrer qu’il y a matière à recycler, et réemployer, qu’il existe des nouvelles pratiques de consommation mais aussi comportementales pour éviter d’alimenter cette société de la consommation et cet empilement de déchets qui nuit non seulement à l’environnement mais aussi à l’économie et au social.
Ensuite, on essaye d’investir les zones grises en travaillant sur la réappropriation de l’espace public, parce que la convivialité c’est très important dans la transition. C’est qu’on s’est aperçu qu’il y avait de moins en moins de bancs, dans certains quartiers il en reste, mais dans le 18e, par exemple, de moins en mois. On a donc décidé de se réapproprier les trottoirs en mettant des bancs en carton, le temps d’un happening. C’est complètement éphémère, mais ça nous permet de revendiquer cet espace là. Aujourd’hui, c’est difficile de se réunir dans la ville sans mettre la main au porte-monnaie. On veut montrer qu’il existe aussi des espaces de gratuité, la réappropriation de lieux est très importante pour nous. D’autre part, la revitalisation du commerce local fait partie du mouvement. Une des grandes questions qu’on se pose est comment on peut faire revenir dans nos quartiers des commerces de bouches. Parce qu’aujourd’hui on a que des supers marchés, et dans les superettes, on trouve de tout sauf des produits franciliens. On aimerait créer une monnaie locale qui ferait que l’argent reste au niveau du quartier, et que ça ne s’échappe pas au delà. La transition c’est assez proche du mouvement de la décroissance, et il faut imaginer que la richesse qu’on crée n’est pas forcément monétaire, mais qu’elle est autre. Il faut évidement que tout le monde puisse vivre, mais déjà, si tout le monde avait son potager, ça changerai beaucoup de choses.
Merci Antoine, et bonne continuation pour l’avenir.
(1) Voir vidéo
Pour aller plus loin :
Site officiel du mouvement de la transition en France
Un autre mouvement de transition en région parisienne à Montreuil
Un reportage de France 3 « Avenue de l’Europe » en date du 6 avril 2013, consacré au mouvement de la transition.
- Bancs publics en carton Crédit photo : A. Lagneau
- Jardinage petite ceinture
- Culture d'un jardin partagé
- Zone de gratuité Crédit photo : DR