Rencontre avec Franck Vogel et les Bishnoïs : Quand des rencontres font obstacle au désert 2/2
L’histoire de la redécouverte des Bishnoïs est une histoire de rencontre avant tout. Une histoire peu banale qui commence par un tour du monde. Une histoire qui est encore loin de se terminer.
Disons simplement qu’au commencement, il y avait un homme, puis deux, puis trois. Aujourd’hui, leur travail commun a changé la trajectoire du désert, et mis en avant les préceptes d’une civilisation plusieurs fois centenaire. Retour sur ce parcours avec Franck Vogel, qui suite à ce reportage, a été nommé ambassadeur de l’ONG Green Cross.
Qu’est ce qui a été à l’origine de votre travail sur les Bishnoïs ?
Franck Vogel : « Au cours de mon tour du monde, j’ai rencontré un photographe reporter retraité qui me parle des Bishnoïs, il me dit que c’est « un peuple en harmonie avec la nature », qu’il y a peut être un sujet intéressant à traiter, mais il n’en est pas sûr.
Plus tard, en 2007, une fois rentré en France, je regarde sur internet et je ne trouve pas grand-chose. Juste un gars de vingt deux ans à qui j’envoie un mail pour lui expliquer ma démarche. Il me répond de façon très enthousiaste, il me propose de venir, de loger chez lui pour qu’il me fasse découvrir la culture Bishnoï.
Je viens, je rencontre sa famille, je découvre son village où je vois avec surprise beaucoup de gazelles se promener paisiblement au milieu des villageois. Je suis étonné, et on m’explique que l’un des principes fondateurs de leur culture est la protection des animaux. A ce moment là, je pensais qu’ils étaient peut être 500, 1000 à tout casser. »
F.V: « Oui, parce qu’on m’invite à un pèlerinage qui a lieu une semaine plus tard. Je me rends avec mon hôte à Mukam, où a lieu deux fois par an un pèlerinage pour honorer leur guru. C’est là qu’il a édicté les 29 règles de la religion Bishnoï, et c’est aussi là qu’il est mort en 1536.
C’est ce qu’on m’explique, avec entre autres le fait que Bishnoï signifie « vingt neuf ». J’ai justement 29 ans à ce moment là, et par jeu, on m’offre une amulette Bishnoï, que je vais porter pendant tout le pèlerinage. Je veux faire des photos, mais on me l’interdit : les feux sacrés qui brûlent un peu partout sur le site ne peuvent pas être photographiés. Il faut aller voir les dignitaires. »
A ce moment là, vous ne devez pas en mener très large…
F.V: « Non, mais je vais quand même voir les dignitaires, je leur expose ma démarche, je leur explique que je suis là pour faire un reportage, pour raconter leur philosophie. Ils sont très dubitatifs, on baragouine une sorte d’anglais : « Tu crois que nous on a quelque chose à apprendre au reste du monde ? ». Ils n’y croient pas, ne voient pas l’intérêt, et j’ai vraiment le sentiment que c’est fichu.
Et puis dans l’échange, j’ai bougé, et l’amulette qu’on m’avait offert plus tôt apparaît, et ils sont surpris, ils me demandent si je suis Bishnoï. Alors je tente de bluffer un peu, je leur dit que oui, un peu par la philosophie, mais surtout par l’âge, que j’ai 29 ans, et que le fait que je sois ici n’est pas un hasard. Du coup ils discutent, et ils changent d’avis. Je peux faire des photos, par contre, je dois faire un discours devant tous les fidèles pour qu’ils me reconnaissent, et ne s’offensent pas de mes photos. »
Et vous qui étiez venu discrètement prendre des photos, vous vous retrouvez sur le devant de la scène !
F.V: « Oui, un Bishnoï traduit ce que je dis, j’explique pourquoi je fait des photos. Et c’est surtout une façon d’expliquer que j’ai le droit de le faire, de me protéger. D’ailleurs, ça m’a sorti d’une situation difficile où des pèlerins arrivés plus tard, en me voyant prendre des photos, ont commencé à s’énerver, et ils ont voulu s’en prendre à moi. Heureusement, un autre groupe qui m’avait vu s’est interposé et leur a expliqué la situation. Je suis vraiment passé à deux doigts de la catastrophe.
Je fais plein de photos ce jour là, et les suivants. Et puis un jour, je vois dans la foule un type qui se fait bousculer, et qui parle dans un mégaphone, et les gens s’écartent : visiblement ils se moquent un peu de lui. »
C’est Kamu Ram, l’homme qui lutte contre la pollution plastique?
F.V: « Oui, c’est Kamu Ram, l’homme avec qui nous avons fait une conférence à l’Unesco, et plusieurs voyages en France. A l’époque, il n’était pas du tout écouté. Il avait vu à la télévision un reportage sur les Bishnoïs et leur tradition, parce qu’il vivait en ville, et ne participait pas aux pèlerinages. Et puis il a vu les dunes couvertes de sac plastique.
Les Bishnoïs ont pour tradition tous les ans d’aller déverser de la terre au sommet des dunes qui les protègent du vent du désert. Et cette terre, ils la transportaient avec des sacs plastiques, qui permettent d’en déplacer beaucoup plus. Le problème étant qu’ils jetaient les sacs avec la terre, complètement inconscients de la pollution qu’ils provoquaient. Kamu Ram avait donc pris son courage à deux mains, un mégaphone, et il essayait de sensibiliser les Bishnoïs au problème. »
Vous avez donc décidés de travailler ensemble ?
F.V: « Oui, je suis revenu au Rajasthan, j’ai repris contact avec Kamu Ram, et en 2008, il est venu avec moi en France pour la première exposition, qui avait lieu en plein air à Courchevel, à l’occasion du Forum Mondial du Développement Durable. Ca a été compliqué de le faire venir, et finalement, il a pu découvrir deux choses pendant ce voyage : la neige, et la solution au problème des sacs plastiques. »
C'est-à-dire ?
F.V: « On était dans la rue, on marchait et tout à coup il s’est arrêté et il a dit : « c’est ça que je veux ». Il venait de découvrir une poubelle publique des plans Vigipirate : celles avec un arceau qui tient un sac poubelle. Mais je ne sais pas comment l’aider. On démarche plusieurs entreprises, et finalement, grâce notamment au documentaire que je fais pour France Télévision sur les Bishnoïs, on créé en live les premières poubelles destinées aux lieux de culte Bishnoï. »
Aujourd’hui, quel est l’état de ces lieux de pèlerinage ?
F.V :« Ca faisait longtemps que je n’y étais pas retourné, pas depuis 2010 quand j’avais fait le film. Mais on a fait un voyage il y a un mois avec un groupe de Terres D'Aventure, nous sommes allés planter des arbres, et prendre part à leur pèlerinage. Grâce à la diffusion du film, et les expositions, plus de 1000 bénévoles sont venus aider Kamu Ram pour nettoyer les dunes. Aujourd’hui, les dunes sont propres.
Et les dignitaires nous ont fait une surprise à moi, Kamu et Rana Ram, un homme que j’ai rencontré aussi par hasard, et qui a planté plus de 22 000 arbres dans sa vie. Nous avons été honorés devant plus de 30 000 personnes, et on m’a remis l’équivalent de la légion d’honneur chez les Bishnoïs. C’était incroyable. »
Est-ce qu’il y a une suite à votre travail sur les Bishnoïs ?
F.V« Oui, aujourd’hui je fais de nouveaux reportages. Après les Bishnoïs, j’ai fait un reportage sur le massacre des Albinos en Tanzanie. Je fais maintenant une série de reportages sur les conflits liés à la maîtrise de l’eau. J’ai été publié dans Géo pour celui sur le Nil. Je viens de terminer un autre reportage sur le Brahmapoutre, je ne sais pas encore où il sera diffusé.
Parallèlement, le reportage sur les Bishnoïs poursuit sa route. Je fais une exposition à la Galerie In Between à Paris, rue Sainte Anastase du 23 janvier au 21 février, elle sera clôturée par une projection du film sur les Bishnoïs. Par une drôle d’ironie de l’histoire, le maharadja de Jodhpur, descendant de celui qui avait provoqué le massacre des Bishnoïs en 1730, m’a invité à exposer dans le fort de Jodhpur courant décembre. »
Lien site Franck Vogel:
http://www.franckvogel.com/fr/photo/portfolio/reportage/bishnoi/bishnoi.htm
Disons simplement qu’au commencement, il y avait un homme, puis deux, puis trois. Aujourd’hui, leur travail commun a changé la trajectoire du désert, et mis en avant les préceptes d’une civilisation plusieurs fois centenaire. Retour sur ce parcours avec Franck Vogel, qui suite à ce reportage, a été nommé ambassadeur de l’ONG Green Cross.
"Je pensais qu'ils étaient 1000"
Qu’est ce qui a été à l’origine de votre travail sur les Bishnoïs ?
Franck Vogel : « Au cours de mon tour du monde, j’ai rencontré un photographe reporter retraité qui me parle des Bishnoïs, il me dit que c’est « un peuple en harmonie avec la nature », qu’il y a peut être un sujet intéressant à traiter, mais il n’en est pas sûr.
Plus tard, en 2007, une fois rentré en France, je regarde sur internet et je ne trouve pas grand-chose. Juste un gars de vingt deux ans à qui j’envoie un mail pour lui expliquer ma démarche. Il me répond de façon très enthousiaste, il me propose de venir, de loger chez lui pour qu’il me fasse découvrir la culture Bishnoï.
Je viens, je rencontre sa famille, je découvre son village où je vois avec surprise beaucoup de gazelles se promener paisiblement au milieu des villageois. Je suis étonné, et on m’explique que l’un des principes fondateurs de leur culture est la protection des animaux. A ce moment là, je pensais qu’ils étaient peut être 500, 1000 à tout casser. »
Et vous décidez de poursuivre votre reportage ?"Je veux faire des photos, mais on me l'interdit"
F.V: « Oui, parce qu’on m’invite à un pèlerinage qui a lieu une semaine plus tard. Je me rends avec mon hôte à Mukam, où a lieu deux fois par an un pèlerinage pour honorer leur guru. C’est là qu’il a édicté les 29 règles de la religion Bishnoï, et c’est aussi là qu’il est mort en 1536.
C’est ce qu’on m’explique, avec entre autres le fait que Bishnoï signifie « vingt neuf ». J’ai justement 29 ans à ce moment là, et par jeu, on m’offre une amulette Bishnoï, que je vais porter pendant tout le pèlerinage. Je veux faire des photos, mais on me l’interdit : les feux sacrés qui brûlent un peu partout sur le site ne peuvent pas être photographiés. Il faut aller voir les dignitaires. »
A ce moment là, vous ne devez pas en mener très large…
F.V: « Non, mais je vais quand même voir les dignitaires, je leur expose ma démarche, je leur explique que je suis là pour faire un reportage, pour raconter leur philosophie. Ils sont très dubitatifs, on baragouine une sorte d’anglais : « Tu crois que nous on a quelque chose à apprendre au reste du monde ? ». Ils n’y croient pas, ne voient pas l’intérêt, et j’ai vraiment le sentiment que c’est fichu.
Et puis dans l’échange, j’ai bougé, et l’amulette qu’on m’avait offert plus tôt apparaît, et ils sont surpris, ils me demandent si je suis Bishnoï. Alors je tente de bluffer un peu, je leur dit que oui, un peu par la philosophie, mais surtout par l’âge, que j’ai 29 ans, et que le fait que je sois ici n’est pas un hasard. Du coup ils discutent, et ils changent d’avis. Je peux faire des photos, par contre, je dois faire un discours devant tous les fidèles pour qu’ils me reconnaissent, et ne s’offensent pas de mes photos. »
Et vous qui étiez venu discrètement prendre des photos, vous vous retrouvez sur le devant de la scène !
F.V: « Oui, un Bishnoï traduit ce que je dis, j’explique pourquoi je fait des photos. Et c’est surtout une façon d’expliquer que j’ai le droit de le faire, de me protéger. D’ailleurs, ça m’a sorti d’une situation difficile où des pèlerins arrivés plus tard, en me voyant prendre des photos, ont commencé à s’énerver, et ils ont voulu s’en prendre à moi. Heureusement, un autre groupe qui m’avait vu s’est interposé et leur a expliqué la situation. Je suis vraiment passé à deux doigts de la catastrophe.
Je fais plein de photos ce jour là, et les suivants. Et puis un jour, je vois dans la foule un type qui se fait bousculer, et qui parle dans un mégaphone, et les gens s’écartent : visiblement ils se moquent un peu de lui. »
"Ils étaient complètement inconscients de la pollution qu'ils provoquaient"
C’est Kamu Ram, l’homme qui lutte contre la pollution plastique?
F.V: « Oui, c’est Kamu Ram, l’homme avec qui nous avons fait une conférence à l’Unesco, et plusieurs voyages en France. A l’époque, il n’était pas du tout écouté. Il avait vu à la télévision un reportage sur les Bishnoïs et leur tradition, parce qu’il vivait en ville, et ne participait pas aux pèlerinages. Et puis il a vu les dunes couvertes de sac plastique.
Les Bishnoïs ont pour tradition tous les ans d’aller déverser de la terre au sommet des dunes qui les protègent du vent du désert. Et cette terre, ils la transportaient avec des sacs plastiques, qui permettent d’en déplacer beaucoup plus. Le problème étant qu’ils jetaient les sacs avec la terre, complètement inconscients de la pollution qu’ils provoquaient. Kamu Ram avait donc pris son courage à deux mains, un mégaphone, et il essayait de sensibiliser les Bishnoïs au problème. »
Vous avez donc décidés de travailler ensemble ?
F.V: « Oui, je suis revenu au Rajasthan, j’ai repris contact avec Kamu Ram, et en 2008, il est venu avec moi en France pour la première exposition, qui avait lieu en plein air à Courchevel, à l’occasion du Forum Mondial du Développement Durable. Ca a été compliqué de le faire venir, et finalement, il a pu découvrir deux choses pendant ce voyage : la neige, et la solution au problème des sacs plastiques. »
C'est-à-dire ?
F.V: « On était dans la rue, on marchait et tout à coup il s’est arrêté et il a dit : « c’est ça que je veux ». Il venait de découvrir une poubelle publique des plans Vigipirate : celles avec un arceau qui tient un sac poubelle. Mais je ne sais pas comment l’aider. On démarche plusieurs entreprises, et finalement, grâce notamment au documentaire que je fais pour France Télévision sur les Bishnoïs, on créé en live les premières poubelles destinées aux lieux de culte Bishnoï. »
"Aujourd'hui, les dunes sont propres"
Aujourd’hui, quel est l’état de ces lieux de pèlerinage ?
F.V :« Ca faisait longtemps que je n’y étais pas retourné, pas depuis 2010 quand j’avais fait le film. Mais on a fait un voyage il y a un mois avec un groupe de Terres D'Aventure, nous sommes allés planter des arbres, et prendre part à leur pèlerinage. Grâce à la diffusion du film, et les expositions, plus de 1000 bénévoles sont venus aider Kamu Ram pour nettoyer les dunes. Aujourd’hui, les dunes sont propres.
Et les dignitaires nous ont fait une surprise à moi, Kamu et Rana Ram, un homme que j’ai rencontré aussi par hasard, et qui a planté plus de 22 000 arbres dans sa vie. Nous avons été honorés devant plus de 30 000 personnes, et on m’a remis l’équivalent de la légion d’honneur chez les Bishnoïs. C’était incroyable. »
Est-ce qu’il y a une suite à votre travail sur les Bishnoïs ?
F.V« Oui, aujourd’hui je fais de nouveaux reportages. Après les Bishnoïs, j’ai fait un reportage sur le massacre des Albinos en Tanzanie. Je fais maintenant une série de reportages sur les conflits liés à la maîtrise de l’eau. J’ai été publié dans Géo pour celui sur le Nil. Je viens de terminer un autre reportage sur le Brahmapoutre, je ne sais pas encore où il sera diffusé.
Parallèlement, le reportage sur les Bishnoïs poursuit sa route. Je fais une exposition à la Galerie In Between à Paris, rue Sainte Anastase du 23 janvier au 21 février, elle sera clôturée par une projection du film sur les Bishnoïs. Par une drôle d’ironie de l’histoire, le maharadja de Jodhpur, descendant de celui qui avait provoqué le massacre des Bishnoïs en 1730, m’a invité à exposer dans le fort de Jodhpur courant décembre. »
Lien site Franck Vogel:
http://www.franckvogel.com/fr/photo/portfolio/reportage/bishnoi/bishnoi.htm
- Le feu sacré des Bishnoïs, lors du pélerinage de Mukam
- Exposition à la station de RER Luxembourg
- Franck Vogel récompensé par la plus haute distinction Bishnoï