Conte de fin d'année: Un Noël partagé (2/3)
Irène:
Il me fait rire ce petit jeune, il est mignon avec sa dulcinée. Depuis que nous avons constitué le groupement coopératif, pour créer notre copropriété pas comme les autres, je garde un oeil sur mon voisin de palier. Il pourrait être mon fils.
Dire que j'ai failli ne pas les connaître, tous mes voisins. Ils sont adorables avec moi. Jeune retraitée, veuve depuis peu, je vivotais dans mon pavillon de banlieue parisienne. Paris, c'était beau, mais pas pratique: dans les transports en commun, en vieillissant, on se sent fragile. Tous ces gens qui courent, pressés, qui vous bousculent parce que vous ne pouvez pas marcher à leur pas...Peu à peu, j'ai arrêté d'aller à la capitale. Peu à peu, j'ai aussi arrêté de voir les gens. On a beau dire, quand tous le monde est connecté, plus personne ne se parle. Et moi, je n'ai pas de "smartphone", et je suis trop vieille pour apprendre internet. En revanche, je sais faire de la confiture, des terrines, plats en sauce, soufflés et autres savoureuses recettes, mais pour qui ? J'avais fini par être très seule.
Et puis une nièce est venue me rendre visite, comme cela arrive de temps à autre, l'attraction de la capitale vous savez... Et elle a regardé ma maison, trop grande pour moi toute seule, et on a beaucoup discuté. Elle me connaît, elle sait qu'on peut me parler franchement, je suis à la retraite, pas sénile. Mes amis retraités sont partis depuis longtemps sur la côte d'Azur, à Paris, je n'avais plus vraiment d'attaches, juste des habitudes, et une histoire. Alors elle m'a expliqué le projet en cours sur sa commune: un habitat participatif en autopromotion, et m'a dit de venir voir, après tout, ça ne m'engageait à rien.
Pour être honnête, j'ai commencé par ouvrir de grands yeux: qu'est ce que c'est que ce truc ?
Mon mari et moi, à notre époque, avions fait construire notre pavillon. Les notions de conception, construction, ne m'étaient pas étrangère. Non, mais là où j'ai un peu bloqué au début, c'était cette histoire d'autopromotion: faire construire à plusieurs...
Ma nièce m'a invité chez elle, le temps que je participe à quelques réunions. Je suis de nature curieuse, j'y suis allée. Là bas, j'ai rencontré des familles avec de jeunes enfants qui cherchaient un peu d'espace pour les faire grandir, des retraités, quelques jeunes couples, mon voisin... Nous étions une quinzaine au total. Les principes étaient simples, on me les a expliqué sans chichis: l'habitat partagé, c'est la création d'appartements individuels, qui partagent des espaces communs, comme une buanderie, ou une chambre d'amis...
La construction en autopromotion allait nous permettre d'imaginer nous même nos logements, et nos espaces partagés. Mais attention, le cadre légal de tout cela, c'est une copropriété un peu particulière: une SCI où nous avons nos parts, apparemment, la coopérative d'habitat, c'est pas légal.
Après avoir rencontré toutes ces personnes, papoté avec les uns et les autres, je me suis rendu compte que j'avais envie de cette dynamique. Je ne me reconnaissais pas franchement dans certaines valeurs un peu "bobo", mais j'aimais bien l'idée de ne plus avoir de clôtures autours de mon jardin, de ne plus vivre dans "un petit fort", comme disent mes neveux.
Alors j'ai sauté le pas, j'ai mis mon pavillon en vente, investit dans la copropriété, bazardé mon trop plein de meubles, et j'ai débarqué là. Bien sûr, au début j'ai eu peur de devoir louer quelque chose en attendant la fin des travaux, mais comme nous avons choisi la construction bois, c'est allé très vite. Maintenant, je suis bien installée. Nous avons un grand jardin qui fait le tour des trois bâtiments accolés. On discute ensemble de ce qu'on y met, et j'aime bien voir des mômes se poursuivre sous mes fenêtres.
On a une buanderie, qui fait aussi bibliothèque, avec un point d'eau, un plan de travail, des tables et ma vieille gazinière qu'on a installé là. C'est un peu la cuisine collective des appartements: les enfants viennent y faire leurs devoirs en commun, on a mis là les livres qu'on n'ouvrait plus et qui remplissaient nos bibliothèques. Mes voisins ont ouverts de grands yeux quand ils m'ont vu y mettre l'intégral des Tolkien...
A certaines périodes de l'année, c'est le grand chambardement: on fait des confitures, on met les petits plats dans les grands pour les réunions de coopérative. C'est un endroit qui est rarement vide, on s'y sent bien.
Et justement, l'autre jour, en sortant de la buanderie, où je lave mon petit linge à l'heure où les autres sont au travail, question de discrétion, j'ai croisé mon voisin. Il avait l'air tout empêtré dans ses paquets, et à voir la façon fébrile dont il tâtait ses poches, j'avais le sentiment qu'il ne tarderait pas à exploser, ou à tout à fait s'effondrer. J'ai posé mon baquet de linge, je l'ai aidé avec ses paquets, et en discutant, je me suis retrouvée à lui proposer de préparer avec lui les repas de Noël.
Je ne sais pas pourquoi j'ai fait ça, j'ai bon coeur, c'est vrai, mais de là à cuisiner pour deux repas de fête. Moi qui justement me proposais de me faire un petit potage devant les films de Noël qu'ils ne manquent pas de passer à la télé. Pourtant, il avait l'air tellement soulagé ! Ce doit être ça l'esprit de Noël...
Bref, nous avons cuisiné de beaux produits cultivés juste à côté. J'ai rit quand j'ai reconnu l'étiquette de la dinde: c'est celle d'un petit producteur chez qui je vais à chaque fois que je fais mon marché, et qui me fait de l'oeil en m'appelant "ma caille". Une fois la dinde mise à cuire, alors que nous épluchions les légumes, mon voisin, l'air de rien, m'a tendu une embuscade, et je suis tombée dans le panneau: il m'a invitée à rester pour le réveillon.
Tiens, on sonne, ce doit être sa mère. Il m'a dit que ce soir, on fêterait Noël en petit comité. (à suivre)
Il me fait rire ce petit jeune, il est mignon avec sa dulcinée. Depuis que nous avons constitué le groupement coopératif, pour créer notre copropriété pas comme les autres, je garde un oeil sur mon voisin de palier. Il pourrait être mon fils.
Dire que j'ai failli ne pas les connaître, tous mes voisins. Ils sont adorables avec moi. Jeune retraitée, veuve depuis peu, je vivotais dans mon pavillon de banlieue parisienne. Paris, c'était beau, mais pas pratique: dans les transports en commun, en vieillissant, on se sent fragile. Tous ces gens qui courent, pressés, qui vous bousculent parce que vous ne pouvez pas marcher à leur pas...Peu à peu, j'ai arrêté d'aller à la capitale. Peu à peu, j'ai aussi arrêté de voir les gens. On a beau dire, quand tous le monde est connecté, plus personne ne se parle. Et moi, je n'ai pas de "smartphone", et je suis trop vieille pour apprendre internet. En revanche, je sais faire de la confiture, des terrines, plats en sauce, soufflés et autres savoureuses recettes, mais pour qui ? J'avais fini par être très seule.
Et puis une nièce est venue me rendre visite, comme cela arrive de temps à autre, l'attraction de la capitale vous savez... Et elle a regardé ma maison, trop grande pour moi toute seule, et on a beaucoup discuté. Elle me connaît, elle sait qu'on peut me parler franchement, je suis à la retraite, pas sénile. Mes amis retraités sont partis depuis longtemps sur la côte d'Azur, à Paris, je n'avais plus vraiment d'attaches, juste des habitudes, et une histoire. Alors elle m'a expliqué le projet en cours sur sa commune: un habitat participatif en autopromotion, et m'a dit de venir voir, après tout, ça ne m'engageait à rien.
Pour être honnête, j'ai commencé par ouvrir de grands yeux: qu'est ce que c'est que ce truc ?
Mon mari et moi, à notre époque, avions fait construire notre pavillon. Les notions de conception, construction, ne m'étaient pas étrangère. Non, mais là où j'ai un peu bloqué au début, c'était cette histoire d'autopromotion: faire construire à plusieurs...
Ma nièce m'a invité chez elle, le temps que je participe à quelques réunions. Je suis de nature curieuse, j'y suis allée. Là bas, j'ai rencontré des familles avec de jeunes enfants qui cherchaient un peu d'espace pour les faire grandir, des retraités, quelques jeunes couples, mon voisin... Nous étions une quinzaine au total. Les principes étaient simples, on me les a expliqué sans chichis: l'habitat partagé, c'est la création d'appartements individuels, qui partagent des espaces communs, comme une buanderie, ou une chambre d'amis...
La construction en autopromotion allait nous permettre d'imaginer nous même nos logements, et nos espaces partagés. Mais attention, le cadre légal de tout cela, c'est une copropriété un peu particulière: une SCI où nous avons nos parts, apparemment, la coopérative d'habitat, c'est pas légal.
Après avoir rencontré toutes ces personnes, papoté avec les uns et les autres, je me suis rendu compte que j'avais envie de cette dynamique. Je ne me reconnaissais pas franchement dans certaines valeurs un peu "bobo", mais j'aimais bien l'idée de ne plus avoir de clôtures autours de mon jardin, de ne plus vivre dans "un petit fort", comme disent mes neveux.
Alors j'ai sauté le pas, j'ai mis mon pavillon en vente, investit dans la copropriété, bazardé mon trop plein de meubles, et j'ai débarqué là. Bien sûr, au début j'ai eu peur de devoir louer quelque chose en attendant la fin des travaux, mais comme nous avons choisi la construction bois, c'est allé très vite. Maintenant, je suis bien installée. Nous avons un grand jardin qui fait le tour des trois bâtiments accolés. On discute ensemble de ce qu'on y met, et j'aime bien voir des mômes se poursuivre sous mes fenêtres.
On a une buanderie, qui fait aussi bibliothèque, avec un point d'eau, un plan de travail, des tables et ma vieille gazinière qu'on a installé là. C'est un peu la cuisine collective des appartements: les enfants viennent y faire leurs devoirs en commun, on a mis là les livres qu'on n'ouvrait plus et qui remplissaient nos bibliothèques. Mes voisins ont ouverts de grands yeux quand ils m'ont vu y mettre l'intégral des Tolkien...
A certaines périodes de l'année, c'est le grand chambardement: on fait des confitures, on met les petits plats dans les grands pour les réunions de coopérative. C'est un endroit qui est rarement vide, on s'y sent bien.
Et justement, l'autre jour, en sortant de la buanderie, où je lave mon petit linge à l'heure où les autres sont au travail, question de discrétion, j'ai croisé mon voisin. Il avait l'air tout empêtré dans ses paquets, et à voir la façon fébrile dont il tâtait ses poches, j'avais le sentiment qu'il ne tarderait pas à exploser, ou à tout à fait s'effondrer. J'ai posé mon baquet de linge, je l'ai aidé avec ses paquets, et en discutant, je me suis retrouvée à lui proposer de préparer avec lui les repas de Noël.
Je ne sais pas pourquoi j'ai fait ça, j'ai bon coeur, c'est vrai, mais de là à cuisiner pour deux repas de fête. Moi qui justement me proposais de me faire un petit potage devant les films de Noël qu'ils ne manquent pas de passer à la télé. Pourtant, il avait l'air tellement soulagé ! Ce doit être ça l'esprit de Noël...
Bref, nous avons cuisiné de beaux produits cultivés juste à côté. J'ai rit quand j'ai reconnu l'étiquette de la dinde: c'est celle d'un petit producteur chez qui je vais à chaque fois que je fais mon marché, et qui me fait de l'oeil en m'appelant "ma caille". Une fois la dinde mise à cuire, alors que nous épluchions les légumes, mon voisin, l'air de rien, m'a tendu une embuscade, et je suis tombée dans le panneau: il m'a invitée à rester pour le réveillon.
Tiens, on sonne, ce doit être sa mère. Il m'a dit que ce soir, on fêterait Noël en petit comité. (à suivre)