Ismaël, Rachel, Nathan et Emma:

On a l'air fin tous les quatre, les enfants dégoulinants sur le paillasson du voisin. Mais en même temps, qui aurait pu prévoir ce qui nous est tombé dessus ?

Nous, c'est Rachel, ma femme, Nathan et Emma, mes enfants, et Ismaël (moi). On a décidé un peu tardivement de rejoindre le projet de la copropriété, on a remplacé une autre famille qui s'est désisté au dernier moment, c'est très bien tombé pour nous. Ce genre de projet nous a toujours intéressé. On vient tous les deux de communautés religieuses où on cultive beaucoup l'entraide, après tout, le mot "communauté" n'existe pas pour rien. Emménager dans un pavillon nous semblait vide de sens, et emménager à proximité de l'une ou l'autre des familles pouvait malgré tout facilement créer quelques tensions.

Oui, je sais, on est un peu l'archétype du couple multi confessionnel improbable, elle d'origine juive, moi d'origine musulmane. Alors je le répète une énième fois: non, nous ne sommes pas un miracle de Noël, oui, deux personnes de cultures et de religion aussi opposées peuvent s'aimer, non, ça n'a pas toujours été facile, mais pas plus que pour d'autres couples j'imagine. Et puis, on s'est rencontré au travail, et comme nous ne sommes pas de fervents religieux, notre couple est finalement assez banal.
Noël, on le fête pour les enfants, je sais que c'est une fête chrétienne, mais bon, on n'est plus à une religion près, et puis eux, ils sont plutôt père Noël.

Et justement, Nathan, le petit dernier, a remarqué que nous avions deux arbres de Noël. De là lui est venu l'idée que s'il mettait des chaussons au pieds du sapin de la copropriété dehors, en plus de ceux qu'il a mis au pied de celui du salon, il aurait forcément deux fois plus de cadeaux.
Et ce soir, alors que j'avais le dos tourné, lui et sa soeur sont sortis, en pyjama, sous la pluie. Quoi de plus normal pour des enfants ?!
Seulement, Rachel était descendue à la buanderie, et moi, en voyant les chambre de mes bambins vides, j'ai un peu paniqué, et je leur ai couru après. Et la porte s'est refermée derrière moi. J'ai attrapé mes deux monstres, je les ai sermonnés: couverts de pluie et un peu gadouilleux, on est revenus dans le hall, mais Rachel n'avait pas pris ses clefs, moi non plus, eux non plus bien sûr.

Nous voici donc devant la porte de notre voisin, d'où s'échappent des bruits de cuisine. L'idée de base, c'est de lui emprunter son téléphone pour appeler un serrurier.
On a sonné, il nous a fait entrer, et nous avons appelé un, puis deux, puis dix serruriers. Pas un n'était disponible, et on ne peut pas vraiment les blâmer: après tout, c'est Noël.
Nathan et Emma se réchauffent au coin du feu, dans un plaid "en laine qui gratte" selon les dires de ma fille. Les odeurs qui s'échappent du fourneau sentent incroyablement bon. Irène, notre voisine, a pris le commandement des opérations, et notre voisin a l'air un peu dépassé par les évènements.

On sonne. Le voisin ouvre, c'est sa mère qui est là. Une dame tirée à quatre épingles, petit chignon et pantalon à pinces, on s'étonnerait presque de voir qu'un type aussi lunaire puisse être le fils d'une femme aussi guindée. Elle s'est un peu raidie quand elle a vu le joyeux bazar ambiant, mais après quelques minutes assise sur le canapé à discuter avec les enfants, elle s'est vite détendue. On commence a être franchement à l'étroit cela dit.

Le Voisin:

Autant pour le calme. Votre univers est chamboulé. Après Irène, c'est Ismaël et sa famille qui ont débarqué, puis votre mère. De trois, vous êtes passé à sept, et votre appartement a l'air plein comme un oeuf, surtout avec les deux gamins, qui sont tout de même assez remuants.
Un peu dépassé par les évènements, vous regardez Irène y mettre bon ordre. Elle a assis les enfants au coin du feu, pour qu'ils n'attrapent pas "un refroidissement", elle a mis les parents autours de la table, avec une tasse de votre thé bio pendant qu'ils patientent pour le serrurier, et a installé votre mère sur le canapé: "la meilleure place" selon elle. Merci pour votre fauteuil chiné, dont vous êtes on ne peut plus fier...
Le verdict tombe, le serrurier ne se déplacera pas ce soir. Vous regardez vos voisins, ils ont l'air défait. Vous regardez votre mère, elle a l'air de s'amuser; et vous réalisez deux choses.
D'abord, que vous avez trouvé une solution pour ce soir. Ensuite, que cela implique votre futon, ce dont les lombaires de votre mère ne vous remercieront pas.

La solution est simple: Vous vivez dans une copropriété en habitat partagé. Vous aviez failli l'oublier, mais la solution à tous vos problèmes est là. C'est vrai, votre mamounette dormira finalement sur le canapé futon tant redouté, mais vos voisins ne seront pas sans abri le soir de Noël: ils auront la chambre d'amis. Pour le réveillon de ce soir, s'il y en a pour trois, il y en aura bien pour sept, d'autant plus qu'il y a deux enfants (ça ne compte qu'à moitié un enfant non ?), et au moins, vous êtes certains qu'il n'y aura pas de gâchi.

Votre table vous paraît tout de même un peu petite, vous décidez donc de déménager votre repas dans la salle commune, tout comme votre sapin breton, histoire de décorer un peu les lieux. Vous rassurez les enfants: le père Noël n'a jamais eu besoin de serrure pour déposer des cadeaux au pied du sapin, ils pourront ouvrir les leurs après le passage du serrurier, qui a promis de passer avant midi. Chacun prend quelque chose, et tout le monde descend dans "la grande salle". Vous mettez de la musique, allumez quelques bougies, faites une belle table avec l'aide de votre mère, qui a vraiment l'art de faire pour ces choses là. Tout le monde s'assied, tout le monde rit, l'ambiance est chaleureuse: c'est un très Joyeux Noël !

Fin.