Rencontre avec Vincent Renauld
06/06/2014 - RÉDACTION eco-quartiers
À l’occasion de la sortie de son livre « Fabrication et usage des écoquartiers » (éditions PPUR, 2014), issu d'un travail de thèse, Eco-quartiers.fr a rencontré Vincent Renauld pour qu'il nous partage le regard critique qu'il porte sur la généralisation actuelle de l'urbanisme durable en France.
VR : En fait, l’usage est le seul problème sérieux qui se pose actuellement à la fabrication des écoquartiers. Car la généralisation de nouveaux types d’aménagement et de bâtiments « verts » n’est pas neutre socialement. Elle bouleverse des habitudes culturelles et sociales et par là même exige de nouvelles pratiques, non seulement chez les habitants, mais aussi chez les professionnels de la construction et de la gestion. C’est donc une véritable révolution sociale que sous-tend la banalisation actuelle des écoquartiers dans le paysage urbanistique français.
VR : Du point de vue des acteurs, elles le sont pour la raison suivante. Le fort décalage entre les attentes sur les comportements des usagers et la réalité de leurs pratiques est contreproductif sur le terrain. Cela signifie qu’une innovation « verte » qui n’est pas mise en œuvre, entretenue ou utilisée selon son mode d’emploi est une innovation dans les faits peu efficace. Ainsi, à l’échelle du bâtiment, une isolation par l’extérieur mal posée peut au final être moins performante énergétiquement qu’une isolation traditionnelle. De même la présence d’une ventilation double-flux alors que les habitants aèrent toujours quelque part dans leur logement est une ventilation dont la rentabilité énergétique et financière est quasi nulle. Nous pourrions multiplier ces exemples tant ils sont monnaie courante. Mais pour résumer, si les pratiques des usagers posent problème aux acteurs, c’est d’abord parce qu’elles contredisent les prévisions environnementales et économiques qui sont au cœur de leur modèle d’affaire.
VR : La réponse actuelle – et unanime – de la pédagogie au problème des usages est en fait la moins originale et la plus réactionnaire dans l’histoire de l’architecture et de l’urbanisme. Souvenons-nous que l’idée selon laquelle, pour reprendre une expression de Marcel Lods, « il faut apprendre aux gens à habiter » n’est pas neuve. Les Grands Ensembles, à la suite du Manuel de l’habitation de Le Corbusier (1924), pensaient déjà éduquer les habitants par les bienfaits des nouvelles techniques. Il s’agissait alors de faire advenir un homme « nouveau », « moderne », en phase avec l’idéologie du confort des Trente Glorieuses. Aujourd’hui, avec l’urbanisme durable de masse, c’est l’ « homme durable » qui est escompté. C’est donc tout un imaginaire qui ressurgit sous nos yeux : celui d’un habitant dépassé, ringard, gaspilleur, inconséquent voire immature… De plus, au delà de ces aspects infantilisants, les nouveaux dispositifs pédagogiques sont encore souvent conçus en décalage avec la réalité de ceux qu’ils visent et par conséquent encore peu compris et appropriés sur le terrain.
Merci à Vincent pour cet entretien.
Dans votre livre, vous questionnez la floraison des écoquartiers en France par le biais des usages, pourquoi cet angle d’analyse ?
VR : En fait, l’usage est le seul problème sérieux qui se pose actuellement à la fabrication des écoquartiers. Car la généralisation de nouveaux types d’aménagement et de bâtiments « verts » n’est pas neutre socialement. Elle bouleverse des habitudes culturelles et sociales et par là même exige de nouvelles pratiques, non seulement chez les habitants, mais aussi chez les professionnels de la construction et de la gestion. C’est donc une véritable révolution sociale que sous-tend la banalisation actuelle des écoquartiers dans le paysage urbanistique français.
Mais en quoi ces nouvelles attentes sur les usagers sont-elles problématiques ?
VR : Du point de vue des acteurs, elles le sont pour la raison suivante. Le fort décalage entre les attentes sur les comportements des usagers et la réalité de leurs pratiques est contreproductif sur le terrain. Cela signifie qu’une innovation « verte » qui n’est pas mise en œuvre, entretenue ou utilisée selon son mode d’emploi est une innovation dans les faits peu efficace. Ainsi, à l’échelle du bâtiment, une isolation par l’extérieur mal posée peut au final être moins performante énergétiquement qu’une isolation traditionnelle. De même la présence d’une ventilation double-flux alors que les habitants aèrent toujours quelque part dans leur logement est une ventilation dont la rentabilité énergétique et financière est quasi nulle. Nous pourrions multiplier ces exemples tant ils sont monnaie courante. Mais pour résumer, si les pratiques des usagers posent problème aux acteurs, c’est d’abord parce qu’elles contredisent les prévisions environnementales et économiques qui sont au cœur de leur modèle d’affaire.
Quel monde nous propose de vivre les écoquartiers ?
Ne pensez-vous pas alors qu’il faudrait renforcer les formations et les dispositifs pédagogiques envers les usagers ?
VR : La réponse actuelle – et unanime – de la pédagogie au problème des usages est en fait la moins originale et la plus réactionnaire dans l’histoire de l’architecture et de l’urbanisme. Souvenons-nous que l’idée selon laquelle, pour reprendre une expression de Marcel Lods, « il faut apprendre aux gens à habiter » n’est pas neuve. Les Grands Ensembles, à la suite du Manuel de l’habitation de Le Corbusier (1924), pensaient déjà éduquer les habitants par les bienfaits des nouvelles techniques. Il s’agissait alors de faire advenir un homme « nouveau », « moderne », en phase avec l’idéologie du confort des Trente Glorieuses. Aujourd’hui, avec l’urbanisme durable de masse, c’est l’ « homme durable » qui est escompté. C’est donc tout un imaginaire qui ressurgit sous nos yeux : celui d’un habitant dépassé, ringard, gaspilleur, inconséquent voire immature… De plus, au delà de ces aspects infantilisants, les nouveaux dispositifs pédagogiques sont encore souvent conçus en décalage avec la réalité de ceux qu’ils visent et par conséquent encore peu compris et appropriés sur le terrain.
D’après vous, l’urgence du réchauffement climatique ne justifie donc pas une démarche éducative ?
VR : Il y a mille et une façons d’imaginer et d’organiser la transition énergétique dans la société. Dans le cas actuel, l’urgence climatique est devenue la nouvelle idéologie du système économique productiviste. Au nom de la « nécessité du développement durable », c’est en réalité l’offre en innovations sur le marché qui vise à être renouvelée et par là même l’espoir d’une nouvelle croissance économique pour l’avenir. Dans ce cadre, le problème des usages et son corollaire, la pédagogie et la publicité, ne sont pas des éléments à la marge. Ce sont des réalités nécessaires et inhérentes aux logiques économiques productivistes. C’est la raison pour laquelle les liens me semblent très étroits entre les Grands Ensembles des années 60 et les Ecoquartiers des années 2000. Tout comme la croissance des Trente Glorieuses a projeté l’avènement d’un homme moderne – avec sa voiture, son électroménager et son logement équipé – la croissance verte actuelle a besoin de l’ « homme durable » pour exister et tenir ses promesses. C’est en tout cas une idée qui mériterait d’être approfondie. Cet « homme durable » dont vous parlez, n’est-il pas pourtant vecteur de progrès ?
VR : C’est précisément la question que j’ai posée dans cet ouvrage. Quel monde nous propose de vivre les écoquartiers ? En fait, l’ « homme durable » des écoquartiers est pour l’essentiel occupé à des activités de travail, de divertissement et de loisirs aux accents champêtres et bucoliques. Quant à son mode d’habiter, il revisite surtout des grands principes hygiénistes imaginés par les ingénieurs du XIXe siècle, comme le contrôle de la température ambiante ou la maîtrise de la qualité sanitaire de l’air. En ce sens, si l’ « homme durable » subvertit socialement les usages, il apparaît du point de vue politique assez peu émancipateur et progressiste. Son rapport aux autres – et à la famille – est tout à fait traditionnel, puis ses activités quotidiennes se résument aux sphères du travail, de la consommation, du divertissement et du loisir, c’est-à-dire finalement à ce que la philosophe H. Arendt appelle les « activités nécessaires à la récupération du travail » et à la « reproduction de la vie elle-même ». Par conséquent, l’usager rêvé des écoquartiers ne reproduirait-il pas, sur un mode champêtre et bucolique, les activités emblématiques de la Charte d’Athènes (1933) que sont « habiter, travailler, se récréer et circuler » ?Merci à Vincent pour cet entretien.