Jean Haëntjens nous parle de « la ville frugale »
[10.11.2011]Les éditions Fyp publient le nouvel ouvrage de Jean Haëntjens, économiste et urbaniste français, et auteur, entre autres, d’Urbatopies (L’Aube, 2010). Las des débats sur la ville durable, appellation « trop floue » et tellement multidirectionnelle, selon lui, qu’elle empêche de fonder des stratégies territoriales pertinentes, il pose dans ce nouveau livre les bases d’une nouvelle théorie urbaine et de sa faisabilité technique et politique, celle de la ville frugale, « qui se fixerait comme priorité d’offrir plus de satisfactions à ses habitants en consommant moins de ressources ». Entretien.
- Ayant participé à un grand nombre de colloques ou séminaires sur la ville durable, j’ai mesuré à quel point le « discours durable », apparemment consensuel, était peu capable de porter la prise de décision. Il véhiculait beaucoup trop d’attentes et d’ « images rêvées » pour être opérationnel. Il entretenait surtout la fiction que ces attentes étaient spontanément compatibles. Or il faut faire des choix.
- Il est apparu, par ailleurs, que ce discours était de plus en plus décalé par rapport à une situation économique, financière et sociale qui se resserrait.
2. Le concept de « ville frugale » ne serait-il pas soluble dans celui de « ville durable » ?
Le concept de ville frugale se définit par le double objectif de tirer « plus de satisfactions avec moins de ressources » et de réduire la dépendance énergétique et financière des citadins. Il faut en effet rappeler que les coûts urbains (loyers, carburants, charges collectives) on progressé, depuis dix ans, sensiblement plus vite que le pouvoir d’achat et qu’ils représentent plus du tiers du budget des ménages.
Ce parti conduit à refuser trois scénarios aujourd’hui compatibles avec le discours sur la ville durable : celui de la caserne écologique (ou la pénitence obligatoire), celui du « salut par la technologie et le marché » et celui du « salut par la collectivité providence ». Pour faire émerger un modèle urbain plus économe, il faudra certes des règlements et des normes, des innovations techniques, des désirs marchands, et un appui soutenu des collectivités locales mais aucune de ces forces n’est, seule, en mesure de relever le défi.
La ville frugale se situe au croisement de ces différentes logiques et, dès lors, elle doit affronter « bille en tête » plusieurs contradictions :
- Comment répondre aux attentes de mobilité avec moins d’énergie ?
- Comment répondre aux attentes de confort et de nature avec moins d’espace ?
- Comment exister dans l’économie monde tout en ayant une répartition équilibrée des activités et des populations sur le territoire ?
- Comment faire des villes de qualité sans voir les coûts immobiliers s’envoler ?
La recherche de ces compromis peut amener à relativiser un certain nombre d’idées aujourd’hui attachés à la notion de ville durable, comme la supériorité absolue de la densité, la supériorité absolue des transports collectifs, ou la religion du « tout végétal ».
Parce qu’elle se confronte aux réalités d’un quotidien qui diffère selon les endroits, la notion de ville frugale est plus fine et réaliste que celle de ville durable.
Je ne pense pas qu’il soit intéressant de décerner les labels de frugalité. La frugalité exprime plus une attitude existentielle (comme tirer plus de satisfaction avec moins de ressources) et une méthode (fondée sur la stimulation des désirs et plaisirs urbains) qu’un niveau de performance mesurable. Au demeurant, certains écoquartiers (comme Vauban) sont déjà des modèles de frugalité.
Elles se sont depuis longtemps saisies de ce sujet. Quand la ville de Copenhague a supprimé, en son centre, plusieurs milliers de places de stationnements, elle a annoncé qu’elle allait créer 5000 places en terrasses, et elle a tenu parole. Elle a parlé de désir et non de contraintes même si cette contrainte, pour les automobilistes, était bien réelle. Le design des tramways, ou des Velib, est un autre exemple de la création de désir. Le principal axe de progrès en matière de désir urbain concerne la recomposition des espaces publics, semi publics et privés, qui ont été dilatés par la logique routière. Comme l’écrivait Camillo Sitte, « dans l’art de la ville, tout est affaire de proportion ».
FOCUS… « LA VILLE FRUGALE », éditions Fyp.
Dans ce livre, Jean Haëntjens expose les paradoxes urbain, et appelle à dépasser les consensus mous de la ville durable pour faire de vrais choix politiques, de véritables compromis en lien avec : les choix d’habitats ; la conception de l’îlot ; la ville des courtes distances (le quartier ou le bourg) ; les voieries et l’espace public ; les équipements publics, tertiaires et commerciaux ; la nature dans la ville ; les réseaux de transports collectifs ; les polarités/centralités ; les outils de la mobilité individuelle. Le livre montre des exemples de bonnes pratiques de frugalité urbaine et d’ « art de ville ».
S’affranchir des débats actuels sur la ville durable permet à l’auteur de proposer de nouvelles pistes de réflexion, prenant en compte l’existant et l’inertie de la plupart des systèmes urbains (rôle de la voiture, place de la maison individuelle dans la construction actuelle, importance de l’éducation et de la sensibilisation, etc.).
« La ville frugale » n’est pas une stratégie territoriale clés-en-main, mais l’ouvrage procure des éléments de programmation intéressants pour concevoir des projets locaux sur-mesure qui permettent de fournir plus de satisfaction en consommant moins de ressources.
Un bon outil pour poursuivre les réflexions sur les modèles urbains de l'après-pétrole.
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