Quelle durabilité des bâtiments écologiques à l’usage ? (6/6)
Dans le premier épisode, nous avions évoqué le choix de quatre dispositifs techniques emblématiques du bâtiment du point de vue des économies d’énergie :
Quelle durabilité réelle des bâtiments à l’usage ?
En conclusion de notre analyse, nous remarquons tout d’abord qu’il existe des ruptures entre les dispositions culturelles et sociales des habitants et certains dispositifs techniques emblématiques des bâtiments écologiques. Cette rupture, nous l’avons constaté, entraîne un rapport de force quotidien entre les habitants et leurs habitats pour pouvoir habiter. Ainsi, nous voyons la majorité des habitants qui détournent, bricolent, transforment, voire abandonnent certains espaces ou objets techniques pour précisément en faire usage, c'est-à-dire finalement pour reconstituer leur environnement quotidien et agir ainsi selon les règles d’usage qui structurent leurs pratiques. Cette reconstruction, nous l’avons vu, est significative non seulement dans l’usage de l’espace privé, mais aussi dans la reconquête de ses frontières, que ce soit dans le rapport au voisinage, avec les règles d’exposition de l’intime, de la maison et du balcon, dans le rapport à l’extérieur, avec les règles d’aération de la maison et de relation à la rue, ou encore dans le rapport avec la nature, avec les règles de perception du monde animal et végétal.
Ainsi, si l’on replace ce nouveau type d’habitat écologique dans le contexte historique de l’urbanisme et de l’architecture, nous voyons émerger une continuité dans le rapport de force entre fabrication et usage : autrement dit, dans l’habitat écologique, les usages pourraient être de nouveau le problème de la fabrication. Certaines habitudes des habitants seraient donc représentées comme futiles, inconséquentes, irresponsables et la mission des nouveaux dispositifs techniques, accompagnés de leurs modes d’emplois (pédagogie) serait d’opérer une transformation profonde des pratiques sociale en usage. Ce type de représentation du savoir-vivre des habitants comme problème n’est donc pas sans rappeler le récent mouvement moderne, où pour reprendre la formule de Adolf Loos ou de Marcel Lods, « le rôle éducatif de l’architecte, c’est d’apprendre aux gens à habiter, ils ne le savent pas ».
Souvenons-nous ainsi que dans les préceptes dominants de la modernité (1930-1980), manger dans la cuisine paraissait aussi archaïque que de s’y laver, poser des rideaux aux fenêtres relevait d’une mentalité de concierge et mettre du papier peint sur les murs dénotait d’un esprit petit-bourgeois. A cette époque, l’urbanisme se donnait alors la mission non seulement de produire en masse du logement, mais également de libérer les habitants de ce mode de vie archaïque, dépassé par le mouvement de l’histoire et qui, pour reprendre la célèbre expression du Corbusier, « étouffait dans les usages ».
Il apparaît alors pertinent de repenser la pérennité même des nouveaux dispositifs techniques performants énergétiquement dans le rapport conflictuel qu’ils produisent non seulement dans les modes actuels de conception, d’installation et d’exploitation (les savoir-faire), mais également dans les modes actuels d’usage des habitants (les savoir-vivre). Faut-il tenter par la pédagogie de changer les habitudes pour rapprocher les habitants des éco-habitats ? Ou faut-il au plutôt repenser les modalités de fabrication des logements par l’usage et pour l’usage ? dans le second cas, la durabilité deviendrait convivialité, soit ce par quoi un bâtiment peut durer parce que c’est la réalité des usages qu’il sert et que cette réalité peut ainsi lutter librement contre son usure, améliorant la pérennité sur des temps plus longs et évitant surtout certains contournements, dégradations voire abandons dont notre société se sent parfois acculée dans le cas des quartiers modernes.
(1) M. Lods, in : Chombart de Lauwe, 1959, p. 190
(2) Nous reprenons ici le sens donné par Ivan ILLICH dans La Convivialité (1973), qui définit l’habitat « convivial » un habitat contrôlé par les modes d’habiter et de manière plus large tout objet technique répondant à l’usage.
- les terrasses sur passerelles extérieures bois (épisode 2)
- la façade végétalisée (épisode 3)
- la ventilation double flux (épisode 4)
- le sol écologique marmoléum (épisode 5)
Quelle durabilité réelle des bâtiments à l’usage ?
En conclusion de notre analyse, nous remarquons tout d’abord qu’il existe des ruptures entre les dispositions culturelles et sociales des habitants et certains dispositifs techniques emblématiques des bâtiments écologiques. Cette rupture, nous l’avons constaté, entraîne un rapport de force quotidien entre les habitants et leurs habitats pour pouvoir habiter. Ainsi, nous voyons la majorité des habitants qui détournent, bricolent, transforment, voire abandonnent certains espaces ou objets techniques pour précisément en faire usage, c'est-à-dire finalement pour reconstituer leur environnement quotidien et agir ainsi selon les règles d’usage qui structurent leurs pratiques. Cette reconstruction, nous l’avons vu, est significative non seulement dans l’usage de l’espace privé, mais aussi dans la reconquête de ses frontières, que ce soit dans le rapport au voisinage, avec les règles d’exposition de l’intime, de la maison et du balcon, dans le rapport à l’extérieur, avec les règles d’aération de la maison et de relation à la rue, ou encore dans le rapport avec la nature, avec les règles de perception du monde animal et végétal.
Ainsi, si l’on replace ce nouveau type d’habitat écologique dans le contexte historique de l’urbanisme et de l’architecture, nous voyons émerger une continuité dans le rapport de force entre fabrication et usage : autrement dit, dans l’habitat écologique, les usages pourraient être de nouveau le problème de la fabrication. Certaines habitudes des habitants seraient donc représentées comme futiles, inconséquentes, irresponsables et la mission des nouveaux dispositifs techniques, accompagnés de leurs modes d’emplois (pédagogie) serait d’opérer une transformation profonde des pratiques sociale en usage. Ce type de représentation du savoir-vivre des habitants comme problème n’est donc pas sans rappeler le récent mouvement moderne, où pour reprendre la formule de Adolf Loos ou de Marcel Lods, « le rôle éducatif de l’architecte, c’est d’apprendre aux gens à habiter, ils ne le savent pas ».
Souvenons-nous ainsi que dans les préceptes dominants de la modernité (1930-1980), manger dans la cuisine paraissait aussi archaïque que de s’y laver, poser des rideaux aux fenêtres relevait d’une mentalité de concierge et mettre du papier peint sur les murs dénotait d’un esprit petit-bourgeois. A cette époque, l’urbanisme se donnait alors la mission non seulement de produire en masse du logement, mais également de libérer les habitants de ce mode de vie archaïque, dépassé par le mouvement de l’histoire et qui, pour reprendre la célèbre expression du Corbusier, « étouffait dans les usages ».
Il apparaît alors pertinent de repenser la pérennité même des nouveaux dispositifs techniques performants énergétiquement dans le rapport conflictuel qu’ils produisent non seulement dans les modes actuels de conception, d’installation et d’exploitation (les savoir-faire), mais également dans les modes actuels d’usage des habitants (les savoir-vivre). Faut-il tenter par la pédagogie de changer les habitudes pour rapprocher les habitants des éco-habitats ? Ou faut-il au plutôt repenser les modalités de fabrication des logements par l’usage et pour l’usage ? dans le second cas, la durabilité deviendrait convivialité, soit ce par quoi un bâtiment peut durer parce que c’est la réalité des usages qu’il sert et que cette réalité peut ainsi lutter librement contre son usure, améliorant la pérennité sur des temps plus longs et évitant surtout certains contournements, dégradations voire abandons dont notre société se sent parfois acculée dans le cas des quartiers modernes.
(1) M. Lods, in : Chombart de Lauwe, 1959, p. 190
(2) Nous reprenons ici le sens donné par Ivan ILLICH dans La Convivialité (1973), qui définit l’habitat « convivial » un habitat contrôlé par les modes d’habiter et de manière plus large tout objet technique répondant à l’usage.